Antisocial à vie

De Trust aux Démons de Jésus, Bernie Bonvoisin répond carte sur table à toutes les questions dans Schnock #49. L’interview dans son intégralité est consultable juste là.

Vous êtes né à Nanterre dans les années 50.
Oui, 1956. J’ai deux frères, plus vieux que moi. C’est par leur biais que je découvre toute la musique anglaise, rock d’abord avec le plus vieux, et puis toute la vague anglaise et américaine des années 60, 70 avec l’autre, qui a six ans de plus que moi. Stones, Beatles, les Kinks, les Animals, Easybeats, tout ce qui traînait quoi. Mon père adorait Lennon, ma mère adorait Lou Reed.

Un peu dur du coup de se rebeller contre des parents qui écoutent Lou Reed…
Oui et non… C’est toujours quelque chose de sain. La première rébellion c’est de ne pas faire son lit. De toute façon, j’ai eu une enfance chanmé. Mon père était chef de chantier et ma mère travaillait dans les cantines pour enfants. Parents ouvriers, vie dans la cité, mais c’était une époque de dignité, parce qu’il y avait du travail. Quand il y a du travail, il y a toujours de la dignité. On vivait normalement, sans excès. Tout était ouvert. Je garde un super souvenir de mon adolescence.

Et à l’école ?
J’étais parti pour faire des trucs manuels, mais j’étais vraiment pas fait pour ça (Rires). J’avais fait une école de mécanique à Rueil-Malmaison, dans laquelle j’ai fomenté une grève et puis j’ai été lourdé, à trois mois de l’examen. Je suis rentré chez moi et mon père m’a dit : « Tu travailles demain ». Et le lendemain matin, je pointai à l’intérim. J’avais 16 ans, j’allais de boulots en boulots, ça payait plutôt bien. C’était très facile de trouver du travail au début des années 70.

Donc pas d’études.
En fait, je suis un autodidacte dans tout. Je me suis fait sur le tard. Je pense que les systèmes d’éducation ne sont parfois pas adaptés. Ce truc très rigoureux, très cadré, ne convient pas à tout le monde. Mais ça n’empêche pas la soif d’apprendre. J’ai comme beaucoup eu la chance de tomber sur une prof de français absolument fabuleuse, qui nous donnait le goût d’écrire, nous incitait, et c’est aussi des rencontres comme ça qui te sensibilisent.

Vous écriviez déjà des textes à cette époque ?
Non, pas encore, j’ai commencé à écrire quand je travaillais à l’Olympia. J’y ai travaillé pendant quatre ans, de 72 à 76, d’abord en coulisses puis ensuite à la programmation avec Jean-Michel Boris, paix à son âme.

Le pied.
C’était superbe. Quand je suis rentré à l’Olympia, c’était encore un music-hall, avec Coquatrix, on était une petite équipe de douze, j’ai fait un remplacement d’un mois au départ et puis ils m’ont gardé. C’était une aubaine. En même temps, tu découvres l’autre face du showbiz, les vedettes comme elles sont vraiment. Il y avait en moyenne deux ou trois concerts de rock par semaine, et aussi le samedi et dimanche en matinée. En quatre ans, pfiou, j’ai vu démarrer Status Quo, j’ai vu Rory Gallagher, Lou Reed…

C’est à cette période que vous rencontrez Norbert Krief, alias « Nono » ?
C’est juste après l’Olympia ouais. A l’époque, j’étais un batteur pas bon dans un groupe pas très bon, avec qui on se retrouvait à la gare de Colombes. En parallèle de l’Olympia, j’étais aussi DJ, en dessous, à La Taverne, et j’allais aussi faire le DJ dans une boîte à 60 bornes de Pontoise. Deux très bons amis avaient un magasin de disques dans la rue Caumartin, Star Music, très pointu, j’y traînais tout le temps. C’est d’ailleurs comme ça que j’ai dégoté le job à l’Olympia. Un jour, un type qui s’appelait Alberto est entré dans la boutique en lançant : « Je pars un mois en vacances, est-ce que quelqu’un voudrait me remplacer ? » J’ai levé la main et c’est comme ça que ça a commencé, très simplement. Au début je faisais la mise en place sur scène, le rideau. Quand le régisseur est rentré de vacances, ils m’ont pris comme électricien mais j’étais pas bon ! Puis j’ai fini par bosser à la programmation. C’était une bonne ambiance. J’avais enfin trouvé un truc qui me plaisait. Dans tous mes boulots précédents, j’avais un problème de hiérarchie…

Déjà !
Déjà ! Mais là c’était bien, on n’était pas nombreux. J’ai rencontré plein de gens que j’ai recroisé après avoir monté mon groupe, comme Coluche et d’autres.

Quand naît Trust ?
En septembre 1977. Dans ce groupe pas très bon donc, le guitariste part en vacances au Maroc, au Club Med, et sympathise avec un certain Nono là-bas. Il le ramène aussitôt avec lui à son retour et m’annonce : « J’ai rencontré un guitariste de folie ». Moi, je rentre tout juste de Londres…

Pas du tout le club Med !
Ah non, et c’est la première fois que j’allais à Londres. Je m’en souviens très bien car c’était le 20 août 1977, le jour de la mort de Presley. Là-bas, je vois un concert des Damned, des mecs qui se jettent les uns sur les autres, qui se crachent dessus, avec en même temps cette énergie… Je reviens à Paris avec le premier single des Sex Pistols, et le premier album d’AC/DC. Que je fais écouter à Nono, qui lui est plutôt dans Santana, Journey, en lui disant : « L’énergie de ce truc-là et les riffs de ça : boum ! »

Ce qui résume déjà parfaitement l’esprit Trust. A l’époque, le paysage musical français est plutôt terne…
Il y avait avant nous un groupe qui s’appelait les Variations. Je connaissais bien Jo Leb et Marc Tobaly, le chanteur et le guitariste. Ils avaient tout : le son, l’attitude, c’était à peu près les seuls qui étaient dans ce truc. Nous, on a dû prendre la relève. C’est simple, on a tout ouvert. Avec Téléphone, Starshooter, Ganafoul, Shakin’ Street, Little Bob, on a vraiment déblayé le truc. Ce qui est intéressant, c’est que dans chaque grande ville de France, il y a des groupes qui arrivent. Et on défonce les portes parce qu’il n’y a aucune structure, on est les trublions…

Tu te souviens du premier concert de Trust ?
Le vrai premier concert a eu lieu à la Caisse des retraites de la sécurité sociale du 13ème arrondissement, à midi, dans un espace de trois m2, avec un petit lampadaire de quatre ampoules. Il y avait trois bancs, et les gens venaient en blouse blanche, avec leur assiette sur les genoux, ils mangeaient et nous regardaient. Et nous, on était au taquet ! C’est une super école. Quand t’as fait ça, tu peux aller n’importe où.

Tu m’étonnes !
On a aussi été invités à jouer au mariage de Thierry Sabine, le mec qui a créé l’enduro du Touquet… (et le Paris-Dakar, NDLR) C’était au Château de Breteuil, surréaliste, avec l’ambassadeur du Mexique… On était le seul groupe programmé, c’était sauvage ! La soirée est partie en couilles mais c’était génial. Les gens attendaient qu’un truc, c’était de déconnecter.

Qui étaient vos potes dans la musique à vos débuts ?
On était proches de Téléphone, très souvent Richard venait jouer avec nous, faire le bœuf…

La presse parlait d’une rivalité entre vous, du fait que vous étiez signés sur le même label, Pathé, qui avait préféré miser sur eux.
Oui, mais ça c’est un truc de maison de disques, ce n’est pas dû au groupe. On avait en effet signé notre premier single chez Pathé, et il a fini dans un tiroir. Ca s’était fait grâce à notre manager, Marc Barrière, un filou. Il avait réussi à nous dégoter une session studio chez Pathé. Donc on va au studio à Boulogne, et là, quand on arrive, les Stones sont en train de faire « Hot Stuff ». On passe trois jours là-bas, on rencontre Bon Scott, Keith Moon, je joue à saute-mouton avec Keith Reichards et Bill Wyman dans les chiottes (Rires). La face B du 45 tours était une reprise d’AC/DC, « Love at First Feel », et Bon est venu écouter le morceau live, c’est comme ça que la rencontre s’est faite. Tout était fait dans un esprit punk, c’était nos références, et ça l’est encore aujourd’hui. A l’époque, on a voulu nous coller une image « metal » au cul, mais le max du metal qu’on kiffait s’arrêtait à Led Zep. Et parallèlement, on a toujours kiffé Sex Pistols, Clash, Boomtown Rats… Les textes, l’attitude, l’énergie… Quand le mouvement punk est arrivé, pour paraphraser le guitariste des Who, ça a mis un grand coup de pompe au cul de la génération d’avant. On pouvait ne pas être très bon musicien, mais être dans une énergie, et c’est ça qui était intéressant.

C’est pour ça que vous allez enregistrer votre premier album à Londres.
Voilà. Avant ça, en octobre 78, on fait la première partie d’AC/DC, dans une salle qui a brûlé depuis, le Stadium, porte d’Italie. On était toujours potes et Bon Scott m’envoie une lettre de Munich pour savoir si on veut ouvrir pour eux et évidemment je lui réponds oui…

Le facteur n’avait pas intérêt à paumer la lettre !
Ouais ! Là, on avait déjà nos premiers titres : « Comme un damné », « Préfabriqués »… Le soir où on fait cette première partie, on cartonne, et on dégote en même temps un deal avec CBS et un manager. On part donc à Londres, enregistrer avec Denis Weinreich, qui faisait tous les Jeff Beck (et aussi Queen, Supertramp, etc, NDLR). On est restés là-bas 15 jours, pour 150 000 francs, c’est-à-dire rien. Et on a fait le second avec lui aussi. On pensait en sortir 30 000, et on en a fait 850 000.

Presque double-platine.
Oui, et à l’époque c’était des disques de platine qui étaient conférés par le SNEP, ça rigolait pas.

Tout ça sans soutien ni radio.
Pas de radio, aucun soutien, et comme on n’avait rien, notre manager Bobby Bruno a eu l’idée de monter une tournée. On fait 55 dates, en trois mois, sans promo. La première semaine, il y a un petit peu de monde, mais bon… Par contre, le soir où l’on joue à Strasbourg, il se passe un truc de fou. On percute sur le fait que les gens dans la salle chantent les textes, c’est la première fois qu’on entend ça. Après, je ne sais pas ce qui se passe, le bouche à oreille ou autre, mais on joue dans des salles où il y a autant de monde dehors que dedans. A la fin de la tournée, on est déjà à 80 000 ventes, sans radio ni télé. On fait le Pavillon de Paris et on vend 17 000 billets en deux heures.

C’est qui le public qui vient voir Trust en 1978 ?
Il y a de tout. Et on entend toujours cette phrase récurrente : « vous dites tout fort ce qu’on pense tout bas. » Les concerts sont sauvages, on a la niaque, on aime ça… Pendant ces sept années, on faisait en moyenne 250 concerts par an. C’était un truc instantané. Et il existe toujours. On a joué avant-hier, et c’est la même dynamique, c’est important de conserver ça, c’est un super vecteur. C’est pour ça aussi que depuis 2016, on réenregistre les albums en 3 jours, live, pour garder cette urgence, cette authenticité.

Peu de temps après le Pavillon de Paris, vous jouez à la prison de Fleury-Mérogis. Une idée de qui ?
En janvier 80, oui. C’est un truc qui me trotte à l’époque, et un journaliste du Point vient avec nous pour couvrir l’évènement. On fait donc ce concert dans la chapelle, pour les gens qui n’avaient pas de visites, pas de famille. Et la sortie de scène a été surréaliste. A la fin du concert, on a longé le bâtiment D, toutes les fenêtres des cellules se sont ouvertes et les mecs passaient leurs mains à travers les barreaux pour nous saluer. Quand je suis arrivé au bout de l’allée, un type m’a demandé : « Il fait beau dehors » ? (Silence)

Tout ça a lieu 3 mois après la mort de Mesrine, un personnage important pour vous.
Oui, on a composé les deux morceaux « Instinct de Mort » et « Le Mitard » dans la foulée, pour l’album Répression.

Qui seront censurés.
On a eu pas mal de problèmes oui. On a longtemps été tricards de Saumur à cause de ça. Pendant des années on n’a pas pu jouer à Marseille, ni à Nice. On avait un concert de prévu à Toulouse, à la Halle aux grains, et la semaine d’avant, des mecs avaient défoncé la salle après le concert de Ferré. On a dû louer un chapiteau, 12 000 billets ont été vendus et le soir du concert, la municipalité n’a pas trouvé plus intelligent que de coller des CRS au service d’ordre. Pendant notre concert, il y’avait une émeute dehors. Ça s’est su, on devait jouer à Marseille, et Deferre (prénom Gaston, maire de Marseille de 1953 à 1986, NDLR) a fait une campagne contre nous dans la presse…

Ce n’était même pas de votre faute !
Ce coup-ci non ! C’est-à-dire qu’on a vécu pleinement le truc, on est arrivé en queue de comète de cette période fastueuse, la fin des Trente glorieuses, et sur un laps de temps assez conséquent, on a vraiment vécu le sexe, la drogue et le rock’n’roll… défoncé des hôtels et tout ce qui va avec… Si tu fais pas ça à cet âge-là, tu le feras jamais quoi.

Il y a un fait assez étonnant chez Trust : vous adaptez chacun de vos albums suivants en langue anglaise, ce qu’évidemment personne ne fait en France.
Oui parce qu’il y avait une demande. Par la suite on a signé chez Fair Warning à Londres, la plus grosse agence de tourneurs rock, on s’est retrouvé au milieu de Guns ’N’ Roses, Metallica et ces gens-là. On était un des groupes préférés du patron, John Jackson, qui nous avait fait jouer au festival de Reading à Leeds. On a fait deux tournées en Angleterre, dont une en tête d’affiche. On a joué avec Iron Maiden, on a joué à l’Hammersmith Odéon, on a cartonné là-bas.

Le changement était radical comparé aux concerts en France ?
C’est-à-dire que là, tu rentres dans une sphère où peu de gens ont accès. Tout est fait pour que tu sois bien et heureux au moment de monter sur scène. Il y a un entourage, tout t’est livré clé en mains.

Il y avait une volonté chez vous de faire carrière à l’étranger ?
En fait, à cette période, on arrive en fin de contrat chez CBS, et on était devenus très proches d’Alain Levy, qui nous avait signé. On était la troisième force de vente chez CBS après Police et Iglesias. Pour la reconduction de son contrat, il avait besoin de mon accord. Dans le même temps, un vendredi, on reçoit un appel de l’hôtel Crillon, de la part d’Ahmet Ertegün, le fondateur d’Atlantic. Il nous dit textuellement en français : « Je ferai pour vous aux États-Unis ce que j’ai fait pour Led Zeppelin. »

Wow.
Au début on a cru que c’était un canular ! On a raccroché, le mec a rappelé. Là, on a vu que c’était sérieux, et les gens de CBS l’ont su. Alain m’a appelé, ça a été un gros sujet de tension entre nous au sein du groupe, mais voilà, on s’était engagé. J’avais donné ma parole, donc ça n’aurait pas été bien.

La parole c’est le plus important.
Ouais, la parole c’est important, moi je pense que c’est important. Donc voilà pourquoi on n’a jamais signé chez Atlantic.

 « Antisocial » est-il un succès d’entrée comme on en a l’impression aujourd’hui ?
Déjà, avant que l’album sorte, on enregistre 220 000 précommandes. Je me souviendrai toujours de ce jour. Je me retrouve avenue de Wagram, et je vois une queue qui part de la place des Ternes jusqu’à l’entrée de la Fnac : les mecs attendaient l’ouverture pour avoir l’album. On vendait 70 000 albums par jour. « Antisocial », on avait ouvert le concert du Pavillon de Paris avec, et c’est vraiment passé au-dessus de la tête des gens, vraiment. C’est ensuite, quand les radios se sont mises à jouer le titre que ça a explosé. Avant il n’y avait qu’un seul type qui nous jouait, paix à son âme, c’était Alain Maneval. Il avait une émission sur Europe 1 qui s’appelait Pogo, et il nous jouait tous les soirs à 23h30. Et comme on arrivait à la fin de la tournée, et qu’on vendait beaucoup, les mecs étaient sciés. Ils ont donc commencé à nous appeler. Premières télés, premiers clips… A l’époque, on allait au Luxembourg tourner des clips, c’était un peu surréaliste.

Est-ce qu’à un moment donné vous en avez eu marre de ce titre ?
Non, non… C’est ce que je dis tout le temps, je souhaite à tout le monde d’avoir une croix comme ça à porter, qui fait le tour de la planète, qui est reprise par des groupes américains (Anthrax la reprend sur l’album State of Euphoria en 1988, NDLR)… On souhaite tous avoir un morceau qui traverse le temps, après, expliquer pourquoi, comment… Ma vision est très basique : il y a un texte qui tient la route et un très bon riff. C’est aussi une histoire de phase, d’être en harmonie avec ce qui passe. Je l’entends encore aujourd’hui, dans les manifs. C’est un titre qu’on joue toujours, et les gens deviennent fous, c’est toujours pareil. Quand Nono joue le premier accord, y’a tous les iPhones qui sortent ! Pendant un moment, on a la grâce quoi…

Vous n’aviez donc pas l’impression de « tenir un hit » en le composant.
Quand on a fait ce morceau, c’était dans le même état d’esprit que les autres. On l’a enregistré la nuit où on a reçu notre premier disque d’or, la même nuit où est décédé Bon Scott (le 19 février 1980, NDLR). On est revenu vers 3h du mat’, on était avec Pierre Lescure et tous ces gens-là, et ce sont eux qui font les chœurs sur l’album. Ça me fait toujours un peu marrer les gens qui disent « ouais, quand j’ai écrit ce titre, j’ai senti un truc… » T’as rien senti mec, ferme ta bouche ! Les choses, elles arrivent ou elles n’arrivent pas. Le reste, ça ne t’appartient pas.

Vous changez de producteur sur le troisième album, Marche ou crève, pour Tony Platt.
Ouais, le producteur de Highway to Hell… On a fait cette expérience-là, on est allés au studio d’ABBA à Stockholm, ça a été assez compliqué parce que la Suède, c’est une tannée ! Mais en revenant, c’était génial. On est rentrés en août, on a joué deux soirs au Marquee à Londres, le lendemain on a fait Reading, et la semaine d’après Leeds avec Motörhead.

Un bel enchaînement.
Ouais, ça c’est des p’tites douceurs ! On a joué au Glasgow Apollo quoi. Quand t’as acheté l’album des Stones avec l’étoile blanche sur scène, que t’arrives dans cet endroit et que tu marches sur la même scène, tu te dis que c’est quand même surréaliste ce qui t’arrive. La trajectoire de Trust est assez dingue. Au début, on répétait à Argenteuil, dans une salle de danse. On fumait du mauvais shit qui était coupé avec du pneu, on avait 18 balais, on se faisait des films… Et un jour, on s’est vraiment retrouvé à l’Hammersmith Odéon, avec notre blase sur le fronton, les frissons quoi. On a fait une photo avec Robert Ellis, qui était la star des photographes à l’époque, c’est des petites fiertés comme ça… Y’a des trucs plus désagréables dans la vie !

Il y a des trucs que vous regrettez de ne pas avoir fait ?
Hmm, pas vraiment, c’est surtout une question de rencontres, et aussi de la façon dont les gens perçoivent ce que tu fais. Moi je sais que Metallica s’est inspiré du premier album de Trust pour le Black Album par exemple. Internationalement il y a un grand respect. Jeff Beck et Gary Moore sont venus nous voir, c’est fabuleux…

Vous n’étiez plus fan, mais d’égal à égal.
On était les deux ! Pour Nono, Jeff Beck c’est Dieu. Je m’en rappelle, on était dans le backstage de l’Hammersmith, Jeff Beck était derrière lui et il attendait qu’il se retourne pour lui parler ! Dans la conversation, je lance à Nono : « Y’a Jeff Beck qu’est derrière toi… » Il était tétanisé !

Vous changez à nouveau de producteur sur Idéal, pour Andy Johns.
Andy Johns, quand tu vois le curriculum du mec : il a fait les premiers Led Zep, le premier Hendrix, Sticky Fingers, les Rod Stewart… Là, on a appris l’équivalent de dix ans en six mois. Tu vois alors ce que c’est de se dire producteur.

Ce n’était pas le cas avec ceux d’avant ? (Rires)
Ça l’était moins ! Lui, il avait tout, la maîtrise du son, la fantaisie, wouah ! Paix à son âme, c’était un sacré lascar. J’ai vu récemment un truc qui m’a cloué la gueule à vie. Dans le documentaire sur les Beatles, Get Back, c’est Glenn Johns, son frère, qui est aux manettes. Là, tu atteins des sommets, c’est impressionnant de travailler avec des gens comme ça.

D’où vient l’illustration du poing sur la pochette de l’album ?
A l’époque, je vivais pas mal vers la Madeleine, en face de l’église polonaise, et c’était au début de Solidarnorsc. Tous les soirs j‘étais en bas avec les gens.

Est-ce que cette imagerie heavy metal court-circuitait la vraie identité de Trust ?
Non, pas vraiment, c’était une concertation, et on a plus cette approche visuelle aujourd’hui, à l’époque rien n’était calculé. Pour celui-là, on voulait juste avoir le drapeau polonais en fond. C’est un album spécial, on avait fait venir l’orchestre et les chœurs de l’Opéra de Paris. Et les séances d’Andy Johns à 3 heures du matin avec les mecs de 80 balais, premiers violons, en train de manger du pâté et du saucisson, de boire un coup de rouge, c’était cocasse ! C’est toujours intéressant de mélanger des univers qui n’ont rien à voir.

Sur le dernier album de Trust, Rock’n’Roll, vous vous tournez vers un son plus FM.
Oui, enregistré en partie à Genève, c’est un album qui marche moins bien. Une des raisons c’est qu’on a énormément tourné, il y a une fatigue… C’est une période où j’ai parfois l’impression d’aller à reculons sur les concerts et donc je dis à tout le monde que je vais faire un break. Il y a eu un vent de folie pendant sept piges, mais à un moment il faut se poser, physiquement c’est éreintant. Un album, une tournée, et tout ce qui va avec…

Vous apparaissez même dans un film en 1985, La Baston de Jean-Claude Missiaen.
Ouais, j’avais rencontré Missaien, il nous a proposé ce truc et on s’est dit « pourquoi pas ». C’était une expérience, la première fois à l’écran, et ça a donné quelque chose derrière.

Ça vous trotte déjà l’envie de faire des films à l’époque ?
Ah non, pas du tout. Franchement, j’ai bifurqué sur plein de choses, mais ça s’est toujours fait comme ça, au hasard. J’avais une très bonne amie, Marie, qui était la compagne de Denis Amar, le réalisateur. Ils travaillaient sur le projet Hiver 54, un biopic sur l’abbé Pierre, et elle me dit : « Il y a un rôle pour le personnage nommé Castaing (dit la Castagne), c’est un mec des bagnes qui était un des compagnons du père, et on a pensé qu’on pourrait te le filer. » Denis m’appelle à son tour, il m’envoie le scénario et me demande de le lire. Je le lis et j’accepte, alors que j’ai jamais fait l’acteur. Et je me retrouve à côté Robert Hirsch : ça c’est de la chance.

Après la séparation de Trust, vous commencez aussi une carrière solo, et cette fois vous traversez l’Atlantique.
C’est vrai, pour mon troisième album, Étreinte dangereuse, j’emprunte de l’argent à la banque et je pars à New York. J’avais écouté les derniers albums de Joe Cocker produits par John Rollo, et le premier album de Meat Loaf, Bat Out of Hell, que j’adore. Je ne sais pas ce qui me prend mais je décide d’envoyer mes maquettes à Rollo à New York et le mec me répond dix jours plus tard : « Je prends l’avion dans dix jours, on peut se rencontrer à Londres ». Et il a accepté de faire mon album. Je fais beaucoup de choses comme ça, à l’instinct, pour ne pas avoir de regrets.

C’est une méthode qui paie toujours.
Je suis donc parti dans le New Jersey pour faire l’album. J’ai travaillé avec les cuivres de Southside Johnny, les chœurs de Madonna, la rythmique de Cocker… Franchement, ça va. Et là je découvre une manière de travailler très différente des Anglais. Les Américains sont très chiens quoi. Quand on faisait des breaks, John disait toujours au batteur de rester dans le coin. C’est vraiment carré. Faire un truc là-bas c’était un symbole, c’est la maison-mère quoi.

Il y a une version anglaise de l’album qui n’est jamais sortie d’ailleurs. L’essentiel c’est de faire, après, la vie elle te rend ou non ce que t’as mis dedans. Humblement, je me considère vraiment comme un artiste, l’essentiel est de toujours se remettre en question, de prendre des risques. Quand on a remonté l’histoire de Trust en 2016, il était hors de question de jouer le répertoire d’il y a 30 piges, il fallait repartir sur autre chose, donner un nouveau souffle. C’est une prise de risque qui est essentielle. Ça peut être casse-gueule parfois mais au moins on y va.

C’est aussi pour ce goût du risque que vous acceptez un rôle de flic dans La Haine de Mathieu Kassovitz ?
Ah ça, c’est Mathieu, putain… La scène était écrite et au dernier moment il nous a demandé d’improviser. Donc si tu veux, les mots qu’il y a dans la bouche de ce personnage sont totalement à l’opposé de ce que je peux dire ou penser, ça n’a pas été simple ! On a fait trois prises.

Il y a une suite logique entre la fin de Trust et le début de NTM, non ?
Ouais, d’ailleurs on se voyait assez régulièrement à une époque avec Didier (Morville alias Joey Starr, co-fondateur de NTM, NDLR), il y a une filiation, une appartenance, une façon de penser, c’est sûr. Il y a beaucoup de respect, avec beaucoup d’autres rappeurs aussi. Je trouvais ça plutôt sain, même si maintenant tout ça est devenu autre chose.

Pourquoi Trust n’a jamais collaboré avec des rappeurs, à l’image d’Aerosmith et Run-DMC, lors de votre reformation dans les années 90 par exemple ?
Ici, c’est compliqué. Je pense que c’est beaucoup plus simple d’appeler Jay-Z… sérieux hein ! Les mecs ici, ils ont des agents, des avocats, pour les approcher, laisse tomber… Il y a un cloisonnement. Il y a qu’une seule personne avec qui j’ai fait des choses, c’est Casey (« Chacun sa haine » sur l’album Organic en 2010, NDLR). En même temps c’est compréhensible, aux États-Unis, il y a des ponts entre les styles, les rappeurs connaissent les Stones, Led Zep. Ici c’est cloisonné, ça ne passe pas ou très difficilement. C’est une vraie problématique. Quand je vois Snoop Dogg avec Johnny Cash, ou des mélanges rap et country que j’écoute aujourd’hui, ça ne pose de problème à personne. J’aurais bien voulu faire un truc comme ça. Je me souviens d’un mashup que DJ Loo avait fait avec les morceaux « Antisocial » et « Qu’est-ce qu’on attend » de NTM, c’était atomique. Le truc cartonnait dans les boîtes, ça aurait été chanmé de vraiment le faire ensemble.

Pour en revenir au cinéma, entre votre rôle dans Hiver 54 et celui dans La Haine, vous avez eu envie de jouer plus ?
Non, aucune velléité, j’aime le faire mais pas plus que ça. Il y a des choses pour lesquelles j’ai été pris, d’autres que je n’ai pas voulu faire et d’autres pour lesquelles je n’ai pas été pris. Tout ce que j’ai fait je l’assume. J’ai juste besoin de lire un truc et de me dire : « Putain, comment je vais faire ça ? »

Comment on fait Les Démons de Jésus ?
Eh ben pareil. D’abord, je fais un moyen-métrage à Toulon, avec un mec qui s’appelle Rodolphe Balaguer, qui a un univers fou, mais qui est fainéant, il n’a d’ailleurs jamais rien fait d’autre derrière même s’il avait un putain de talent. Le film s’appelle Tintin la trique et j’y campe un dealer qui a un rapport poétique à la came… Le producteur avec qui je sympathise me demande si j’écris et je lui file deux scénar, dont Les Démons de Jésus, qu’il accepte de signer. Il me rappelle quelques jours plus tard et me demande : « Comment tu le vois ton film ? Parce que vu que tu l’as écrit, c’est toi qui vas le faire ! » Je n’avais jamais fait un millimètre de pellicule ! Un de ses associés qui avait travaillé avec Fellini m’a alors dit cette phrase que je n’ai jamais oublié : « La qualité première d’un metteur en scène c’est d’être bien entouré ». Le stress a donc été remplacé par le challenge. Je suis arrivé sur le plateau le premier jour en ne sachant pas ce qu’était une focale. (Rires)

Comment choisis-tu ton entourage alors ?
Je m’entoure de gens bienveillants, qui comprennent mon langage et qui arrivent à le traduire. J’ai eu un très bon assistant, Stéphane Sauvaire, qui a fait Johnny Mad Dog ensuite. Et puis j’avais un chef-op, Bernard Cavalier, qui me poussait dans mes retranchements. Faire du zoom 600 en intérieur, ça le faisait halluciner. Fallait vraiment que j’ai de l’argument.

Pour un premier film, le casting réunit Victor Lanoux, Patrick Bouchitey, Marie Trintignant, Elie Semoun…
C’était une bataille auprès du distributeur, Polygram. Quand j’arrive avec le cast, ils me disent « Thierry quoi ? Nadia comment ? » J’avais tourné une série pour Canal+ avec Josée Dayan dans laquelle j’avais un rôle récurrent (Commissaire Kirsh dans Le Gang des tractions, NDLR) et il y avait un épisode sur un boxeur des années 30 qui était joué par Frémont. C’est là que j’ai rencontré Thierry, qui était un fan de Trust. On a discuté, on est devenu potes, je l’ai vu travailler et je trouvais ce mec incroyable. C’est lui que je voulais, et dans le film il est magnifique.

Comment est reçu le film à sa sortie ?
On fait une tournée en province qui cartonne, on revient à Paris, et le distributeur, hésitant, décide de le sortir dans 50 salles seulement. Je pars à 23h30 faire une émission en direct sur RTL et le directeur de la distribution me dit : « Si on fait 3 ou 4000 entrées à Paris, c’est royal ». Je reviens vers minuit et demi, ils étaient tous en larmes, on était déjà à 12 000 tickets. Du coup, ils ont rajouté des salles, etc… C’était un truc de cinglé. J’ai eu deux pages dans Les Cahiers du cinéma, où ça parle de Howard Hawkes… Je fais un festival dans le sud ouest, auquel Lautner participe. Je sors de la salle et Lautner est planté dans le haut de la travée, les mains dans les poches, il me regarde comme ça et me fait : « Putain vous, vous êtes gonflé, et les codes alors ? » Je lui dis que les codes sont faits pour être contournés et il me répond : « Oui, quand c’est fait brillamment comme ça… » Corneau et Chabrol en disent du bien. Il n’y a que Agnès Varda qui trouve le film vulgaire et Téchiné qui dit que les femmes dans le film sont « des fentes ». J’ai trouvé ça d’une violence incroyable. Je me suis dit « mec, t’as un problème avec les femmes quoi. » (Rires)

Elle vient en même temps que celle de la musique ta passion pour le cinéma ?
Oui. Dans les années 60, je bouffe des films, mon plus gros choc : La Soif du Mal… Il y a trois choses : il y a la musique avant et après les Beatles, la littérature avant et après Céline, et il y a le cinéma avant et après Orson Welles. Là-dessus, y’a pas de discussion possible. J’ai aimé tout le cinéma américain des années 50, 60, 70. C’est comme en musique, il y a très peu de choses qui ne m’atteignent pas. J’écoute aussi bien La Callas que Led Zep, je mange de tout. Pour moi, c’est une nourriture, comme en littérature. A une période, je lisais tous les auteurs romains : Salluste, Suétone, Flavius Josèphe… Plus personne n’écrit comme ça. C’est un bonheur quand on sort d’un bouquin comme ça, on a l’impression d’être plus riche. La première fois que je suis allé à la Fnac chercher les œuvres de Salluste, le vendeur m’a regardé d’un air ahuri (Rires). Je suis juste un curieux quoi.

Les Démons de Jésus possède cet élément assez lunaire, difficile à dater, à placer sur une carte. Il y a peu d’exemples comme ça dans le cinéma français, peut-être Lune froide de Bouchitey d’ailleurs.
Aaah ! C’est un pur chef d’œuvre. J’ai travaillé avec Patrick justement parce que j’ai vu Lune froide. Ces mecs, ces paumés, j’adore l’outrance. Il y a quelque chose de plus près de la vie, ce qu’ils appelaient le néo-réalisme en Italie. Il y a toujours un élément onirique quand on fait un film, on peut toucher une forme de grâce quand on arrive à imprimer ça. J’adore cette notion : « Ça n’existe pas, mais ça se peut ». Et puis il ne faut pas oublier la dramaturgie du western dans Les Démons : deux clans et une vengeance à la fin.

Est-ce que le film a bénéficié d’un effet Trust ?
Non, et je veille à ça, à cloisonner dès que je sors un bouquin ou quand je tourne un docu.
Quand j’ai sorti mon premier bouquin chez Flammarion (Vous êtes faite de peines étranges, 2003, NDLR) et que je suis allé chez Ardisson, je lui avais demandé de ne parler ni de musique, ni de cinéma, juste de mon livre. Et j’ai réussi avec le temps à ne pas faire d’amalgame. Je n’ai pas envie de surfer sur un truc pour en vendre un autre. Quand je fais une émission de Ruquier pour mon documentaire à la frontière syrienne (La Misère entre deux jardins, 2016, NDLR), il me parle du nouvel album de Trust, là c’est son choix, pas le mien. A chaque fois, c’est un travail bien distinct, j’essaie de ne pas mélanger les genres.

On ne devient pas schizophrène à force ?
Non, j’ai la chance d’avoir une étanchéité de bouchon. Je peux passer d’un projet à un autre, sans problème. Et j’essaye de garder les pieds sur terre. A la base, tout m’intéresse. J’essaie de faire avancer des choses, je place des pions, des fois ça fonctionne, des fois pas, ou alors ça prend énormément de temps. Mais dès qu’une chose réalisable se présente, je la fais.

Pourtant après Les Démons de Jésus, il y a eu peu de films…
Oui, pour Les Grandes bouches, j’ai eu le syndrome du deuxième film. D’un coup, on a eu plein d’oseil… Le troisième (Blanche, en 2002, NDLR) c’est une autre histoire, mon film a subi 1200 coupes une fois monté, et ça l’a flingué, même s’il a fait 900 000 entrées. Il a été tué à cause de ça, un quart d’heure est passé à la benne.

Ça vous a dégoûté du cinéma ?
C’est surtout que c’était moi le responsable ! Quand un film marche, c’est grâce aux acteurs, s’il se casse la gueule, c’est la faute du réalisateur. Moi j’assume, pas de problème, mais je connais le film que j’ai fait. Besson est allé jusqu’à enlever des respirations dans les dialogues, ce qui fait que les mecs parlent comme des mitraillettes. Alors que t’as des gens comme Rochefort, Depardieu, qui savent filer du texte. Il a fait la même chose avec le deuxième film de Bouchitey, Imposture, sur ce prof de littérature qui séquestre une de ses élèves parce qu’elle a un super sujet de livre. Besson lui a tué son film. Moi c’était trop tard. Je suis allé voir mon producteur, Philippe Rousselet, pour lui dire que le film ne pouvait pas sortir comme ça, qu’on allait se faire tuer et il m’a dit : « Ouais mais tu comprends, il a mis beaucoup d’argent pour la distribution… » Bref, c’était plié.

Vous avez encore des projets de film ?
Oui, j’ai toujours continué à écrire. J’avais un super projet qui était signé et monté juste avant les attentats de Charlie Hebdo. J’avais écrit avec Eric Benzekri un film qui s’appelait Triple B, en lien avec les agences de cotation sur les budgets des états. L’histoire se passe en France, l’état n’a plus d’argent, et décide de vendre la ville de Marseille au Qatar. La ville devient donc un état, régi par la loi islamique, avec des migrants qui veulent quitter Marseille pour la France. C’est une comédie hein ! Mais le sujet est piquant. A cette époque, ça nous mettait les yeux en face de plein de problèmes. A l’intérieur de cet état, qui s’appelle le Massilia, une résistance se met en place avec un prédicateur, joué par Dupont-Moretti, qui monte le Hezbollah branche Bouches-du-Rhône, et commet des attentats. On était à fond dans l’actualité, le film était financé, j’avais un casting de fou, et puis il y a eu les attentats de Charlie. TF1 International m’appelle : « Il y a 25 fois le mot jihad dans le scénario, on ne peut pas faire le film. » Et voilà. Malgré le discours dominant à l’époque, « on reste debout, on n’a pas peur, machin », tout le monde s’est chié dessus.  C’est marrant parce que c’est un projet dont on me parle encore assez souvent.

Est-ce qu’il est définitivement enterré ?
Non. Il peut ressortir. C’est une pure comédie, franchement. J’avais aussi signé un autre film, le mec m’a fait un chèque et il a disparu ! C’est un scénario que j’ai écrit avec Simon Abkarian, il y a Medi Sadoun dans un rôle qui n’a rien à voir avec ce qu’il fait dans Les Kaïra, et Caterina Murino, qui était dans l’avant-dernier James Bond. C’est un road trip entre un père et un fils qui ne se sont pas vu depuis 30 ans, et qui vont se découvrir en traversant la France à pied. Un film très humaniste. J’ai eu la grande tristesse de perdre mon père et ma mère coup sur coup et je sais à quel point c’est important de dire les choses, de dire aux gens qu’on les aime, et c’est un film là-dessus.

« TBA » comme on dit.
Oui, on ne sait pas encore quand ça va sortir. Aujourd’hui c’est très difficile de sortir un film. A l’époque, mon agent Dominique Besnehard me disait que Blanche était le dernier film libre qui avait été fait. C’est un système bizarre quoi, y’a plus de prises de risque. Quand on voit ce qui sort, franchement… Et surtout qu’on compare avec ce qu’on faisait dans ce pays dans les années 70… Con comme la lune, L’Entourloupe… Y’avait un truc, c’était acide, c’était osé. Les comédies de certains aujourd’hui, sans déconner… On est dans un pays à la ramasse, et on est un peuple à la ramasse. Tous ces trucs qui faisaient le rayonnement de ce pays, cette espèce de truc un peu élevé, on a tout perdu. Et on est tous responsables, on l’a accepté, on trouve ça normal. Les gens sont résignés. Ils ne veulent plus faire de l’art, mais faire de l’argent. C’est bien quand les choses ont un peu de fond. C’est bien de sortir d’un film et d’en parler, quand ça réveille des choses… Dans le cinéma aujourd’hui, ce n’est pas les projets qui manquent, c’est le courage. Des mecs qui montent sur Brizé et tout, faut avoir des couilles. Faut croire en la démarche. Aujourd’hui, la première chose que les types te demandent avant de lire ton scénar, c’est le casting. J’avais une pièce qui était montée au théâtre de la Madeleine, inspirée par l’histoire de Lana Turner : une grande vedette du music-hall en pleine descente, et dont la fille va tuer l’amant qui est un gangster. Bref. J’avais en tête de travailler avec Fanny Ardant dont je suis assez proche. Et au rendez-vous, le mec gamberge et me dit, très sérieusement : « Mimie Mathy ? »

(Rires)
Je lui demande s’il a lu la pièce et lui dis : « Mimie Mathy, pour faire une table basse, pourquoi pas ouais. » Ça ne l’a pas fait rire du tout, et il me répond : « Elle vient de faire 250 dates, c’était blindé partout. » Et à partir du moment où le mec te dit ça, tu sais que t’es mort. Autre exemple, j’avais un film qui était monté il y a une dizaine d’années, avec José Garcia, Fanny Ardant et Christophe Lambert. Le film se signe à Cannes, on a le distributeur, et Michel Propper, le producteur, me dit : « Il y a juste un truc, faut dégager Christophe Lambert, TF1 veut Michael Youn. »

(Rires bis)
C’est complètement crétin. Un mec peut être bankable sur le moment et se viander la semaine d’après. Tout ça ne veut rien dire. Un casting c’est comme un peintre qui fait une toile. Tu ne peux pas être au cul du mec et lui demander un peu de rouge là, un peu de bleu là, un peu de jaune là, à un moment il va te dire « tu me casses les couilles » !

Est-ce qu’à plus de 60 ans on a encore la rage ?
C’est un truc qui reste. Quand on a été en colère, et qu’on est encore en colère, il ne suffit pas de casser des choses, mais de réfléchir par soi-même et de rester vigilant face à ce qui nous entoure.

L’art doit toujours se nourrir d’une certaine forme de rage, de colère ?
Je pense que oui. C’est essentiel. Ce qu’on fait doit aussi servir à mettre en lumière ceux qui n’y ont pas accès. Je trouve un grand contentement dans le documentaire maintenant. Ça permet de s’effacer, d’être sur des problématiques bien précises. Avec Trust, on est allé soutenir les grévistes de GMS, ramasser de l’argent pour les familles, on a joué pour SOS Méditerranée, qui va chercher les migrants en pleine mer… Très souvent, il y a des gens qui disent « c’est pas mon problème, j’ai pas d’avis là-dessus… » Mais putain, dans quel monde tu vis, mec ?

Bernie Bonvoisin, Août 2022.
(Photos et visuels : trust.connection.free.fr)

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