Léo Kouper: Affichiste

Son nom se prononce comme celui de Gary mais jamais il n’a été sous les feux de la rampe. Leo Koupferberg, d’origine russe, a raccourci son nom en Kouper quand il fallut trouver un blase, plus commode pour travailler à l’époque. En plus de 60 ans de métier, le petit homme aux cheveux blancs a tout connu sur sa discipline, Hervé Morvan, les studios de cinéma, les pubs pour les petits pois, les affichettes de province, Charlot, Mocky, la nouvelle vague, l’érotisme français, et bien d’autres secrets de polichinelle. Pas de retraite tant qu’il conserve ce qui lui est essentiel: l’œil, la main, la tête. Voici en quelques thèmes et affiches une « histoire orale » de sa carrière.

L’article dans sa version originale est paru dans le n°113 du magazine TROIS COULEURS.

JEAN-PIERRE MOCKY
« Mocky, il est pas désagréable. Moi je l’aime bien, il est très courageux. Et moi non plus j’aime pas qu’on me censure quand je fais une affiche, et c’est pas lui qu’il va le faire ! Deux artistes ont été très importants dans ma carrière, Charlie Chaplin et Mocky. »

CHARLIE CHAPLIN
« Quand il a été décidé, par Les Artistes Associés (succursale française de United Artists), de ressortir après la guerre les films de Chaplin en France, ils voulaient pas se lancer d’un seul coup avec un seul affichiste. À l’époque attention, Chaplin supervisait tout. Ils ont organisé une compétition. Hervé Morvan, dont j’étais l’assistant, avait tellement de travail qu’il m’a dit « vas-y à ma place ». J’étais le plus jeune, au milieu d’artistes chevronnés, Henri Cerutti, Jan Mara. Mara s’était illustré sous l’occupation en faisant des caricatures pour un journal collabo (« La Gerbe »!), quant à Cerutti c’était un très grand affichiste de cinéma. On était en salle de projection et il fallait qu’on fasse chacun une maquette, c’est comme ça que ça se passait à l’époque et c’est la mienne qui l’a emporté, celle des Temps Modernes. Pour La Ruée Vers l’Or, Jan Mara avait été éliminé, j’étais en concurrence avec Cerutti, et finalement pour Le Dictateur, il n’y avait plus que moi dans la salle. C’est moi qu’ils avaient gardé. J’ai fait tout le reste de la série dans les années 50. Quand c’est ressorti une nouvelle fois en 1971, chez Parafrance (antenne française de Paramount), ils ont refait appel à moi, « On veut pas avoir d’histoire avec Chaplin, alors c’est vous qu’on appelle! ».

ARTISTES ASSOCIÉS
« Il faut savoir que le bureau des Artiste Associés, c’était une grosse boîte, il y avait aussi un atelier. Le chef me voyait d’un mauvais œil, « qu’est ce qu’il vient faire chez nous celui-là on est capable de les faire nos affiches nous-mêmes… ». Vous savez comment ils ont essayé de me nuire et de me virer ? Un jour, les directeurs étaient là, Alexandre Mnouchkine et George Danciger. Le chef m’introduit: « Je vous présente Léo Kouper, il travaille avec Morvan, vous savez, celui qui vient de faire les affiches du Parti Communiste » ! Ils se sont dit qu’il y avait rien de mieux pour me déboulonner mais ça n’a rien donné. Ça m’avait amusé. »

LA GUERRE
« On est parti sur les routes comme tout le monde. Puis panne d’essence près de Bordeaux et de la ligne de démarcation. On est remonté vers le Centre mais on n’a pas atteint Vichy, on a atterri à 20km de Clermont-Ferrand, dans un bled qui s’appelle Pontgibaud où j’ai passé toute mon adolescence. »

CARRIÈRE
« Je dessinais déjà, je prenais des cours par correspondance. Mais je me suis rendu compte que c’était vraiment le métier que je voulais faire après la libération, en revenant à Paris, et en voyant les affiches de Paul Colin sur les murs. Tout à fait par hasard, un ami d’enfance d’Hervé Morvan, du 13ème arrondissement, m’a présenté à lui. Et c’est lui qui m’a appris tout le métier. Peut-être que j’avais des prédispositions ! On faisait pas que de l’affiche de cinéma hein, d’ailleurs moi j’ai travaillé dans tous les domaines, l’affiche commerciale, pour des petits pois… »

POLITIQUE D’AFFICHE
« A l’époque pour un seul film, prenons Jour de Fête de Tati par exemple, il n’y avait pas qu’une seule affiche. Il y avait une affiche spéciale pour l’affichette, une pour la province, on considérait que les provinciaux étaient moins intelligents et c’est souvent Morvan qui les réalisait ! C’est vrai. Et Raymond Gid, qui faisait des affiches beaucoup plus intellectuelles était choisi pour la sortie à Paris. Et donc les affichettes, moins dangereuses, on pouvait les confier à un débutant. C’est comme ça que j’ai commencé en faisant l’affichette du film Le plus joli péché du monde. J’ai ensuite fait une affiche pour One, Two, Three de Billy Wilder, en 1961, ça lui a plu et il a dû dire aux Artistes Associés: « Léo Kouper il est pas mal ». C’est pour ça qu’ils m’ont ensuite donné autre chose à faire que les simples affichettes ou les films de Chaplin. J’ai aussi fait l’affiche de L’Homme de Rio quelques temps plus tard, qui me plaisait, mais elle a été jugée pas assez commerciale et donc remplacée. Vous savez, le cinéma, c’est vraiment très très très spécial… »

AFFICHISTES ASSOCIES
À un moment donné (en 1986), les Césars ont décidé de faire une catégorie César de la meilleure affiche. C’est Michel Landi qui avait reçu le prix pour son affiche d’Harem. La quatrième année il y a eu presque un esclandre pour l’affiche de Cinema Paradisio de Gilles Jouin et Jouineau-Bourduche, un mic-mac pour savoir qui avait eu l’idée en premier. Ils se sont tellement disputés sur la scène des Césars que le jury s’est dit, c’est fini on arrête.

NOUVELLE VAGUE
« On m’a demandé de faire des affiches pour les courts métrages de Truffaut, qui n’en ont pas eu à l’époque ! Je sais pas s’il les aurait aimées mais elles sont bonnes quand même ! C’est drôle parce que j’ai détesté la façon dont ils ont démoli de très grands metteurs en scène. J’ai d’ailleurs lu récemment une critique qui le démolissait, La Nuit Américaine c’est un très mauvais film ! Il tiendrait pas le coup maintenant. On peut dire que maintenant il y a une re-nouvelle vague, à chaque fois on veut démolir la précédente. Quand j’ai vu qu’ils s’en prenaient à des gars comme Christian-Jacque, Clouzot, Autant-Lara, qui étaient quand même pas rien… Moi j’ai fait énormément d’affiches pour des films moyens, pour un type qui a fait beaucoup de séries B, André Hunnebelle… Il a fait des films avec Fernand Gravey, Michel Simon, Monsieur Taxi, ça vous dit rien ? Il travaillait beaucoup pour Pathé. Ce qui est rigolo c’est qu’il n’y a qu’un seul survivant, c’est Godard.

EMMANUELLE
« On vous classe dans le métier, j’étais catalogué films comiques. Un jour, dans le bureau de Jo Siritzky (patron de Parafrance), il me dit « on va sortir Emmanuelle mais c’est pas pour vous! ». Le livre 10/18 en main, il était prêt à appeler René Ferracci (qui faisait tout, photo, dessin, etc) pour commander l’affiche quand je lui dis: « mais moi je peux le faire! » J’avais une idée ! Je ne faisais pas que des affiches à la commande hein, et là, j’avais le croquis d’une pomme qui s’épluchait… Le soir même je découpe une paire de fesses dans LUI, je colle du vert autour et j’appose la planche de Letraset, qui se vendait par set, ça n’existe plus aujourd’hui qui n’existe plus aujourd’hui (la même que Sœur Emmanuelle utilisait dans les années 70!). Ça a tellement marqué que ça paraît scandaleux, moi, j’ai juste fait ça pour m’amuser. Ensuite, je reçois le coup de fil d’un type (Norbert Terry) qui me dit « il faut que vous fassiez l’affiche de mon film, ça s’appelle Couche-moi dans le sable et fais jaillir ton pétrole ! » ahah. Puis j’ai eu d’autres demandes, Caresses Bourgeoises par exemple où l’on me disait « faites n’importe quoi pourvu que ça soit cochon ».

LA TECHNIQUE
«J’essaie de m’imaginer le travail fini, et après je n’ai plus qu’à recopier ! Il y a toujours une solution ! Comme pour les mots croisés, même si ça parait impossible. Il faut juste beaucoup d’imagination et de concentration. On n’est pas tout le temps obligé de faire une affiche à idée. Il y a aussi la mise en page, un tas de choses, plus ou moins compliquées. Parfois, rien qu’au téléphone au moment de la commande, je dessine un croquis, et j’y reviens après quelques essais. L’idée peut être instantanée. Pour Le Dictateur, on m’avait demandé de refaire la scène où les micros se tordent, mais c’est impossible, dans le film c’est excellent, mais sur une affiche on ne comprend pas. Le directeur de Parafrance voulait ensuite la fameuse scène où Chaplin jongle avec le ballon et j’ai répondu « je ne crois pas » ahah. Évidemment c’est une belle scène, mais pas en une seule image, alors j’ai fait un truc qui n’existe pas. Je n’en reviens encore pas que Chaplin l’ait accepté. Il était plus intelligent que tous les autres ! Il avait compris le rôle de l’affiche. Comme je dis souvent, le réalisateur de cinéma a 1h30 ou 2h pour raconter une histoire, l’affichiste a une seconde.»

MAINTENANT
Je finis un bouquin avec beaucoup de retard. Avoir une faim de loup 2 sur les expressions françaises. Il y a aussi La France et ses régions pour les enfants. Ça fait 6 ans qu’un jeune homme veut faire un livre sur mes affiches, mais à chaque fois il faut en rajouter ! 2012 a été très productive pour moi, avec Mocky par exemple. Même si le cinéma, ça fait longtemps que j’ai arrêté… je ne considère pas vraiment Mocky comme un studio de cinéma ! Reste le théâtre. Et la plupart du temps je suis obligé de pratiquer des petits prix, c’est toujours des boites ou des compagnies qui sont fauchées.

LE RETOUR
« On dit toujours que l’affiche peut revenir, mais bon… Vous voyez par exemple, un type comme Marin Karmitz il fait rien pour. Il pourrait, vu qu’il a un grand groupe, un complexe de cinémas comme on dit. Quand MK2 a repris tous les films de Chaplin, il a pas pris mes affiches, Chaplin était mort, on en avait plus besoin ! Ils ont fait des photos. C’est dommage, c’est pas la même chose. Et quand le bouquin sur l’œuvre de Charlot est sorti, il comprenait trois de mes affiches pliées en quatre, en guise de cadeau à l’intérieur. Moi je n’y étais pas dedans, mais j’étais en objet bonus. Ça ne me déplaisait pas finalement. L’affiche c’est l’emballage cadeau de la chose à vendre, que ce soit un film, un spectacle, une cause. C’est pourquoi elle doit être bien ficelée ! »

RÉTRO VISION
« On s’est tous retrouvés, les vieux affichistes, il y a quelques mois. C’est une chaîne de télé qui a tourné ça mais ça n’a pas encore été diffusé, ça s’appelle « L’affiche fait son cinéma« . C’était pas mal. L’âge d’or de l’affiche de cinéma pour moi, ce sont les années 1975,76,77. Tous les vendredi on se retrouvait au Friedland, un bar du 8ème arrondissement près de chez Michel Landi, il travaillait tout le temps alors il avait pas le temps de se déplacer ! Il y avait donc Landi, Raffin, Lynch & Guillotin… Il y a eu de bons affichistes, Benjamin Baltimore, etc… Mais ça ne vous dit rien. L’affiche photo laisse beaucoup moins de souvenirs. Y’a quelque temps j’ai vu une affiche assez bonne pour un film qui s’appelle Tournée, de Mathieu Almaric. C’est un dessinateur de BD qui l’a faite, Christophe Blain. De temps en temps on voit quelque chose de bien. »

Légendes:
1/ Le Miraculé, 1987, Jean-Pierre Mocky.
2/ Dossier Toronto, 2011, Jean-Pierre Mocky.
3/ Les Temps Modernes, 1954, Charlie Chaplin.
4/ Un Deux Trois, 1961, Billy Wilder.
5/ Jews, 1975, Jean-Pierre Mocky. (une parodie de Jaws jamais sortie!)
6/ Les Dessous de Roland Garros, 1983. (carte postale)
7/ Monsieur Taxi, 1958, André Hunnebelle.
8/ Long Weekend, 1980, Colin Eggleston.
9/ Les Mistons, 1957, François Truffaut. (ressortie)
10/ Emmanuelle, 1974, Just Jaeckin.
11/ Le Dictateur, 1972, Charlie Chaplin.
12/ La Fille du Garde-Barrière, 1974, Jérôme Savary.
13/ Ça Fait Tilt, 1978, André Hunnebelle.
14/ Les Branchés à Saint-Tropez, 1983, Max Pécas.
15/ Le Divan, 198?. (lithographie)

LE SITE DE LEO KOUPER
INTERVIEW DE JEAN-PIERRE MOCKY