Brain Fade

« Nous avons besoin, de temps en temps, de catastrophes pour rompre cet incessant bombardement d’informations. […] Le flot ne s’arrête jamais, dit Alfonse. Mots, images, chiffres, faits, graphiques, statistiques, points, ondes, particules, taches. Seule une catastrophe peut attirer notre attention. Nous les désirons, nous en avons besoin, nous dépendons d’elles. Tant, bien entendu, qu’elles arrivent ailleurs. C’est ici qu’entre en scène la Californie. Glissements de terrain, incendies de forêt, éboulements côtiers, tremblements de terre, assassinats collectifs, etc. Nous pouvons nous détendre et jouir de ces désastres parce qu’au fond de nos cœurs nous sentons que la Californie a mérité ce qui lui arrive. N’est-ce pas les Californiens qui ont introduit l’idée de «life style» ? Cela seul les condamne.» […]

— Pour la plupart des gens, il n’y a que deux lieux intéressants dans le monde. L’endroit où ils vivent et l’espace projeté sur leur écran de télévision. Si quelque chose arrive à la télévision, nous avons parfaitement le droit de trouver cela fascinant, quel qu’en soit l’objet.

— Je ne sais pas trop si je me sens bien ou mal en apprenant que je ne suis pas, loin de là, le seul dans mon cas.

— Vous sentez-vous mal ? dit-il.

— C’est évident, dit Lasher. Nous nous sentons tous mal. Mais c’est précisément à ce niveau que nous en jouissons.

— Cela provient, dit Murray, de la manière délictueuse dont les gens ont l’habitude de regarder. Ils ont des coupures d’attention parce qu’ils ont oublié comment écouter et regarder comme des enfants. Ils ne savent plus comment traiter l’information. Au sens psychique, un incendie de forêt à la télévision doit être placé à un niveau inférieur, à celui d’un spot publicitaire de dix secondes sur une machine à laver la vaisselle. Le spot publicitaire met en œuvre des ondes plus profondes, des couches plus souterraines. Malheureusement nous avons renversé la signification relative de ces deux choses. Voilà pourquoi les yeux, les oreilles, le cerveau et le système nerveux des gens sont de plus en plus fatigués. C’est tout simplement un cas de mauvaise utilisation. »


« Because we’re suffering from brain fade. We need an occasional catastrophe to break up the incessant bombardment of information. […] The flow is constant, Alfonse said. Words, pictures, numbers, facts, graphies, statistics, specks, waves, particles, motes. Only a catastrophe gets our attention. We want them, we need them, we depend on them. As long as they happen somewhere else. This is where California comes in. Mud slides, brushfires, coastal erosion, earthquakes, mass killings, et cetera. We can relax and enjoy these disasters because in our hearts we feel that California deserves whatever it gets. Californians invented the concept of life-style. This alone warrants their doom. […]

“For most people there are only two places in the world. Where they live and their TV set. If a thing happens on television, we have every right to find it fascinating, whatever it is.”

“I don’t know whether to feel good or bad about learning that my experience is widely shared.”

“Feel bad,” he said.

“It’s obvious,” Lasher said. “We all feel bad. But we can enjoy it on that level.”

Murray said, “This is what comes from the wrong kind of attentiveness. People get brain fade. This is because they’ve forgotten how to listen and look as children. They’ve forgotten how to collect data. In the psychic sense a forest fire on TV is on a lower plane than a ten-second spot for Automatic Dishwasher All. The commercial has deeper waves, deeper emanations. But we have reversed the relative significance of these things. This is why people’s eyes, ears, brains and nervous systems have grown weary. It’s a simple case of misuse.”

Bruit de fond (White noise), Don DeLillo, 1985. (Éditions Babel)
Légende: Grosse Pointe Blank, George Ermitage, 1997.

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