Faites donc la sémiologie de nos pets !

« Il faudrait bien qu’un marxiste sérieux ou qu’un sémiologue moins bouffon que les autres nous explique un jour l’étrange identité, dans la pratique, du jeu de mots généralisé, entre ces messieurs-dames et les petites frappes qui concoctent les slogans publicitaires dont nous sommes quotidiennement pollués, plus encore que des puanteurs automobiles. « Du beau, du bon, Dubonnet », « différent/différant », « Merry Christies », « C’est Shell que j’aime », « les non-dupes errent » : vraiment, c’est marre !

… Sémiologue – ce mot ridicule qui passera, comme « draisienne », « kinétoscope », « prosopographie ». Ah ! le régiment gris des besogneux du signe, signe, signe – gnifiant et gnifié -, les trapézistes du paradigme et du syntagme ! Il faut une camomille intellectuelle par génération, une façon lourdaude de berner les gogos et soi-même, et, 1.2.1., 1.2.2., 1.2.3., petit a, petit b, petit c, la voilà !

Chasseurs de signes, qu’en font-ils ? Rien, des réseaux, des systèmes, comme d’autres de la dentelle, sans rien toucher surtout – quel respect ! Voilà l’embaumement général, l’injection du grand produit congelant et préservant dans le corps de la société de consommation. Grande rationalisation, grande fabrique d’alibis. Cette recherche des codes ! Les codes de la majorité silencieuse ne sont pas les nôtres. Au moins, les phénoménologues, leurs ancêtres, nous donnaient de petits frissons littéraires ou schizophréniques. Eux, comme ils sont bien dans ce monde où ils ont des attachés-cases et des petites Renault et une petite femme. Sémiologues ! Et ce sérieux pour produire interminablement des évidences. Faites donc la sémiologie de nos pets !

[…]

Pourquoi nous adresser aux loulous et louloutes (en français : freaks) ? Bof. De toute façon, nous pensons de ces aimables chevelus à peau tannée, nos semblables, nos frères, ce que nous penserions de n’importe quel épicurien du genre bedonnant. Se donner du plaisir à la belle étoile et risquer vingt syphilis par mois vaut (ne vaut pas plus que) le recours douillet à la veuve Paluche. Et, question herbes, pilules et piqûres, s’il ne s’agit que de s’envoyer en l’air, quelle différence avec les beuveries des ancêtres ? Voilà un monde de rentiers pauvres et de petits jouisseurs malingres qui s’annonce. S’il n’y avait pas les crétins à matraque pour donner du piment à tout cela, les yeux se dessilleraient vite, on verrait quelle jeanfoutrerie universelle se prépare. Si c’est cela, Thélème, cela, la société sans classes ! – et c’est cela, sans doute. L’humain a des limites. Le vrai salut serait si épuisant ! Nous nous y essayons sans espoir et c’est pourquoi, la poignée que nous sommes, nous mourrons tôt (ou tard, qu’importe ?). L’échec est sûr, la réussite n’aurait de sens que si c’était celle de tous – est-ce possible ? Dix mille ans d’histoire soufflent que non. »

Dandys de l’an 2000, Collectif Givre (Dominique Noguez), 1977.
Légende : Les Énervés de Jumièges, Évariste Vital Luminais, 1880.

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