Excentriques ?

« Mais revenons à nos excentriques. Ce ne sont pas des fous bien qu’ils émettent de tels paradoxes qu’on est en droit de se demander s’ils jouissent de leur bon sens. Car, enfin, l’homme raisonnable ne pense pas autrement que tout le monde n’est-ce pas ? Il se contente du petit train-train de la vie et ne cherche pas midi à quatorze heures.

Eux, au contraire, ne parviennent pas à s’adapter à l’existence factice qui découle de la civilisation ; ils prétendent que le tohu-bohu externe n’est pas la vraie vie ; leur code intérieur diffère du code social ; ils ne reconnaissent aucun gouvernement, sauf celui de leur conscience ; d’après eux l’idéal devrait seul nous diriger et non les hommes.

Ils cherchent à s’augmenter, à se réaliser, à doter l’humanité de caractères. Ce faisant ils pratiquent le véritable altruisme car ils donnent aux autres un exemple : ils leur montrent comment ils doivent s’y prendre pour vivre une vie supérieure.

Dans leurs conversations, dans leurs écrits, ils dénoncent le mensonge qui s’insinue partout ; ils préconisent la recherche de la vérité et voudraient que personne ne s’humilie plus, ne s’avilisse plus : « Redressez-vous, clament-ils, vous ne voyez donc pas que la Société cherche à étouffer en vous vos plus nobles aspirations, qu’elle vous diminue, vous annihile, fait de vous des êtres amorphes incapables de poursuivre un but élevé ? Elle vous courbe sous des besognes abjectes. Vous n’êtes plus que les boulons de la gigantesque machine sociale »

Ils ont raison : la Société nivelle les individus pour qu’aucun ne dépasse ; elle considère l’originalité comme un crime et réserve sa prédilection pour la mentalité grégaire qui accepte le mensonge ; regimber contre celui-ci c’est s’insurger contre la Société.

Mais les excentriques ne sont pas des révolutionnaires : ils savent que la violence populaire bouleverse tout sans apporter aucune amélioration ; qu’elle se contente de renverser les dirigeants au pouvoir et ne s’oppose pas à ce que d’autres prennent immédiatement leur place.

Ils ne voient en la politique qu’une nauséabonde futilité appelée à disparaître avec toutes les duperies.
Ils rêvent simplement de temps meilleurs.
Ils rêvent les excentriques !
Et vous aurez beau dire : méditez vaut mieux que tourbillonner ! »

Sauvages Blancs !, Henri-Gustave Jossot, 1927/2013. (Éditions Finitude)

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