La sensation de s’être fait baiser quelque part

« Au moment où elle s’abattait sur son canapé, jetant un regard hostile au taboulé, je songeai à la vie d’Annelise, et à celle de toutes les femmes occidentales. Le matin probablement elle se faisait un brushing puis elle s’habillait avec soin, conformément à son statut professionnel, et je pense que dans son cas elle était plus élégante que sexy, enfin c’était un dosage complexe, elle devait y passer pas mal de temps avant d’aller mettre les enfants à la crèche, la journée se passait en mails, en téléphone, en rendez-vous divers puis elle rentrait vers vingt et une heures épuisée (c’était Bruno qui allait chercher les enfants le soir, qui les faisait dîner, il avait des horaires de fonctionnaire), elle s’effondrait, passait un sweat-shirt et un bas de jogging, c’est ainsi qu’elle se présentait devant son seigneur et maître et il devait avoir, il devait nécessairement avoir la sensation de s’être fait baiser quelque part, et elle-même avait la sensation de s’être fait baiser quelque part, et que ça n’allait pas s’arranger avec les années, les enfants qui allaient grandir et les responsabilités professionnelles qui allaient comme mécaniquement augmenter, sans même tenir compte de l’affaissement des chairs. »

Soumission, Michel Houellebecq, 2015.

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