Champion pour l’éternité

« Entre 14 et 16 ans j’étais ‘smurfeur’, il y avait Sidney, H.I.P. H.O.P., j’adorais la danse. A cette époque-là de ma vie, un de mes rêves était d’être danseur derrière Michael Jackson ou Madonna, des stars qui envoient, quoi. Mais Stéphanie, je ne l’ai pas séduite par la danse mais par la personne que j’étais à l’époque, bon vivant, charmeur, ambitieux. J’étais juste un cycliste connu régionalement, et encore à l’époque, tu disais à un jeune ‘je fais du vélo’, c’était un peu la honte, t’étais un ringard, c’est pas le foot ou le beach-volley…

Je peux te dire que personne n’a vécu ce que j’ai vécu niveau sensation et adrénaline dans les cols du Tour. Pas forcément en gagnant, mais rien qu’en les montant. J’avais un PEUPLE (il crie) derrière moi. Ces mois de juillet sur mon vélo, en me faisant sauter dessus par des gens qui hurlaient, j’avais des coups d’adrénaline comme personne, à part quelques champions, n’a eu dans sa carrière. Ça a été mon moteur. Moi, j’avais quoi ? Pas de relation, pas de pouvoir. Juste ma gueule et ma façon de faire. J’ai tellement donné aux gens pendant sept ans… Je leur ai tout donné. Pourquoi j’allais me couper de ça ? Après, le problème, c’est quand t’arrêtes ta carrière. Toutes les lumières s’éteignent.

Avec les docteurs, il y avait des programmes qui étaient mis en place pour augmenter les performances… C’était quelque chose qui était généralisé dans les autres équipes. (…) On était peut-être même plus sains que les autres ! (…) Ce qui m’énerve, c’est l’hypocrisie de toutes les instances qui ont dirigé le vélo, des organisateurs qui savaient comment ça se passait dans le vélo. Et quand est sortie l’affaire Festina, ils ont fait semblant de ne pas être au courant. Les instances faisaient semblant de lutter contre le dopage, elles avaient installé un radar mais sans flash. (…) on me sort avec les menottes là-bas. Mais pourquoi on est venus nous prendre en Corrèze, là où il y avait Jacques Chirac ? (…) A un moment donné, tu sens que ça pue la magouille. Il n’y a pas de logique dans tout ça. Qu’est ce que les Festina ont fait de plus que les autres ? Est-ce qu’on méritait d’être sortis du Tour en 98 ? Non. Le lynchage qu’on a subi pendant trois ans ? C’est nous qui avons pris les coups de chevrotine pour tout le monde. (…) A partir de 99, j’étais un lépreux. Et si je ne suis pas mis une bastos dans la tête, c’est parce que j’avais des couilles et que je voulais leur montrer qui j’étais, de quoi j’étais fait.

(Gianlugi) Stanga voyait tout ce qui se passait autour. Un jour il me file un Walkman et me dit: ‘Écoute ça dès que t’as un moment.’ Et il me donne un truc de Mozart. Imagine, moi d’où je retombe, Billy Cheese, Michael Jackson, moi je suis dans la dance, il me donne un truc de Mozart. ‘Non mais tu vas le bouffer ton Mozart, je vais pas l’écouter!’ Il insiste, et on se prend la tête. ‘Fais-moi plaisir, c’est grâce à ça que tu vas t’en sortir.’ Tellement ça grouillait autour, il voulait que je fasse retomber la pression avec la musique classique, pour que je me concentre ! Et j’ai fait la préparation du Tour 1999 comme ça. Je suis arrivé comme un tueur.

Michael venait souvent à Disney, il se baladait dans le parc, la nuit… J’avais dit à la fille de la com’ que j’avais rencontrée : ‘Si y a moyen d’organiser une rencontre, tu m’appelles, dans les deux heures je suis là.’ Un jour elle m’appelle, c’était en 94 ou 95. Quand j’arrive à l’étage de la chambre de Michael, j’attends dans le hall, je tremble comme une feuille. Et là, il sort de la piaule. J’avais apporté une photo magnifique de l’émission de Patrick Sébastien. Il a compris que c’était moi déguisé en lui et il a trouvé ça super. Ce qui m’a un peu choqué, c’est moins sa petite voix que quand je lui ai serré la main. Là, j’ai pris un seau d’eau froide dans la gueule. Je m’attendais à une énergie à tout casser, et je lui ai presque broyé la main, il m’a tendu un moignon tout flagada. (…) J’insiste un peu pour faire une photo et là, il rentre dans sa chambre et revient avec une espèce de masque noir. Bon, c’était quand même Michael. J’étais sur un nuage. Cette photo, je l’ai toujours, je l’ai revue récemment dans le garage de ma maison varoise. C’est un peu dommage, ma carrière, aujourd’hui, elle est dans un garage. »

Pédale! #6, Été 2016.

Comments are closed.