US Go Home !

« A partir de 1950, cent mille soldats américains ont stationné entre Bordeaux, La Rochelle, Saint-Nazaire, Poitiers, Châteauroux, Chinon, jusqu’à Fontainebleau, Reims, Verdun. Orléans était le centre stratégique chargé de l’approvisionnement et de la gestion en hommes et matériels du SHAPE en Europe. Aux camps de Maison-Fort et de Harbord-Barracks à Olivet, deux hôpitaux de mille lits chacun étaient prêts pour accueillir les blessés d’une troisième guerre mondiale imminente. Au camp La Forêt près de Fleury-les-Aubrais se trouvaient les écoles pour les mille cinq cents kids transportés chaque jour en school bus matin et soir ; ce camp abritait aussi une laverie-blanchisserie et une boulangerie industrielle fabriquant le pain de mie et aux raisins pour les quinze mille Américains de la zone, civils, épouses et enfants compris. Ils avaient leurs terrains de base-ball et de football américain, leurs lieux de culte, leurs cinémas qui passaient des films avant Paris – chaque jour deux séances, un film différent – et leurs bowlings, bibliothèques, agences de voyages, golfs pour officiers. Tout était fait pour qu’ils ne se sentent pas dépaysés dans une ville de soixante mille habitants – un peu complexés par ces « Ricains » modernes, mobiles, organisés et puissants.

Bruyants aussi. Avec leurs orchestres de parade, ils défilaient dans les rues d’Orléans, en uniforme avec des foulards orange, des casques chromés, chaussés de rangers noires aux lacets blancs. On leur construisait des quartiers de maisons bien alignées, façon banlieues d’Hollywood, où l’été étaient organisés des barbecues et où, à Noël, resplendissaient des grands sapins féériques. Les voitures de la Military Police patrouillaient jour et nuit, trimbalant les agents de la police municipale à caquettes plates, sagement assis à l’arrière. On aimait.

Avec les scores électoraux du Parti communiste, ente 20 et 25%, apparaissaient un peu partout des inscriptions « Us Go Home » (premier titre de mon Nouveau Monde). Mais on n’y prêtait pas beaucoup attention. Le sgens de la région voulaient travailler dans les bases américaines. C’était très bien payé. Les travailleurs agricoles devenaient manœuvres, et les filles de ferme standardistes ou secrétaires. On pouvait apprendre l’informatique sur de gigantesques calculateurs. C’était un monde de nouveauté, d’abondance. Leurs rapports sociaux semblaient simples, l’accès à un foyer américain était comme une entrée au paradis. Je rêvais d’avoir un copain américain et prenais des leçons d’anglais. Les petites Américaines étaient comme des anges blonds tombés du ciel, difficiles à approcher. Les filles françaises, elles, se montraient très favorables à la « collaboration » : l’Américain le plus pauvre était forcément plus riche qu’un Français riche. Beaucoup sont parties aux États-Unis avec un GI milliardaire, en réalité plombier ou simple fermier dans le civil. Ces vingt années pendant lesquelles les troupes américaines ont stationné en France sont à peine évoquées, il existe de rares archives, livres ou films, comme en 1987 le Châteauroux District de Philippe Charigot ou US Go Home de Claire Denis en 1994. »

Projection privée, Alain Corneau, 2007.

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