« Contester l’état des choses et le mode de vie responsable de leur perpétuation n’est plus perçu comme une défense justifiée du respect des droits humains perdus/volés (et pourtant inaliénables), dont les principes devraient être reconnus et recevoir un traitement égal. Cette contestation est même considérée de la manière dont Nietzsche regardait la « compassion active pour tous les ratés et les faibles » : un sentiment « plus nuisible qu’aucun vice », car « ménager, compatir, là fut toujours le plus grand de mes périls ».
Ces croyances publiques imaginaires protègent très efficacement les inégalités produites socialement contre toute tentative sérieuse de réunir dans la société un vaste soutien pour leur faire obstacle et freiner leur progrès. Mais elles ne peuvent empêcher la montée et l’accumulation de la colère et de la rancœur chez tous ceux qui sont exposés jour après jour au spectacle des brillants trésors soi-disant offerts à tout consommateur présent et à venir (récompenses synonymes d’une vie de bonheur). Ceux-là font jour après jour l’expérience d’être exclus et rejetés du festin. De temps en temps, cette accumulation de colère explose dans une brève orgie de destruction. C’est arrivé il y a quelques années à Tottenham, un quartier de Londres. Lors des émeutes, ces consommateurs disqualifiés/ratés, exprimaient bien plus le désir désespéré d’entrer – ne fût-ce qu’un instant – au paradis de la consommation, que l’intention de remettre en cause et de contester le principe fondamental de la société consumériste : la recherche du bonheur est synonyme de shopping et que le bonheur se trouve dans les magasins. »
Les riches font-ils le bonheur de tous ?, Zygmunt Bauman, 2014. (Éditions Armand Colin)
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