Hélas !

« Je l’ai écrit. Je l’écrirai encore : la guerre qui vient ne sera rien d’autre qu’une crise d’anarchie généralisée. Puisqu’il s’agit simplement de dépeupler un continent qui compte trop de bras, trop de mains pour la perfection de sa machinerie, rien n’oblige plus à user de moyens aussi coûteux que l’artillerie. Lorsqu’un petit nombre d’espions ravitaillés par les laboratoires et menant de ville en ville une confortable existence de touristes, suffiront à réduire de cinquante pour cent la population, en développant la peste bubonique, généralisant le cancer et empoisonnant les sources, appellerez-vous ça aussi la guerre, hypocrites ? Les décorerez-vous de la Croix de Saint-Louis ou de la Légion d’honneur, vos courtiers en morve et en choléra ? Pas même moyen de fêter l’Armistice, puisqu’il n’y aura pas plus d’armistice qu’il n’y aura eu de déclaration de guerre, les gouvernements protestant la main sur le cœur, de leur volonté pacifique et jurant leurs grands dieux qu’ils ne sont absolument pour rien dans ce curieux déchaînement d’épidémies. Sans doute, je traduis votre pensée intime en images dont la banalité vous irrite et contre lesquelles vous pouvez vous défendre. (…)

Hélas ! il n’y a peut-être pas de monstres. Ceux qui rêvent d’exploiter ces perversions comme ils feraient d’un quelconque slogan sont des malheureux incapables d’en mesurer l’effroyable, le démoniaque pouvoir. Ils ne croient d’ailleurs pas au diable. Ils mettraient le feu aux hommes pour un coup de Bourse, sans s’être un instant préoccupés des moyens de l’éteindre, ils ne savent absolument rien de l’homme qu’ils définissent entre eux une machine à perdre ou à gagner des sous, une machine à sous. – Et les autres ? Les autres sont désespérés, désespérés à leur insu, de cette espèce turpide toujours comique du désespoir qui s’appelle l’ahurissement – le désespoir à la portée des imbéciles. Hélas ! on ne veut pas se rendre compte ! »

Les Grands cimetières sous la Lune, Georges Bernanos, 1938.

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