« J’en conclus que la légende valait mieux que la vie, et que le style, en littérature, surpassait le fond. L’important n’était pas la substance, ce vilain mot de philosophe, la forme, la tournure, en un mot: l’élégance. C’est ainsi, je crois, que l’on peut définir le genre hussard (même si nombre d’entre eux rejetèrent l’appellation): la beauté plutôt que les idées, les formules contre les discours et le panache comme remède à l’ennui. Cette morale si peu morale m’enchantait. Et ce qui agaçait les uns – les phrases qui claquent, les voitures de sport, l’anti-intellectualisme – me réjouissait au plus haut point. Pourquoi la littérature devait-elle être grave et ennuyeuse ? Bernard Frank, qui a inventé le terme de « hussards » dans un article des Temps Modernes de 1952, les traita, pour aller vite, de « fascistes ». Mais les fascistes sont des gens excessivement sérieux! Le Blondin de Monsieur Jadis, le Déon des Gens de la Nuit où le Nimier de l’Etrangère demeurent de charmants garnements qui n’ont qu’un seul souci: celui de la langue. Le reste n’est que bavardages et commentaires. La mode était au communisme; ils se déclarèrent de droite: pure question de style, encore. Ils avaient le vice de la provocation, et mirent des miliciens dans leurs romans; et alors ? Un romancier et critique, ancien des Lettres Françaises, me confiait récemment: « Vous ne devriez pas les lire; c’étaient tous des salauds, ces types. » Je suis certain qu’ils auraient été heureux du compliment. »
Les Hussards ou la beauté d’avoir tort, Thibault de Montaigu.
« Un assassin à la plume est encore plus dangereux pour la société qu’un meurtrier au couteau, car son crime se répète inlassablement lecteur après lecteur. Je suis devenue raide-dingue d’un tueur incestueux fasciste et suicidaire par procuration littéraire. Un écrivain de droite quoi. Français de surcroît. Les pires. Leur réaction se manifeste dans la destruction. Leur ironie se plaît dans la tragédie. Leur idéalisme se consume dans le cynisme. Leur soif inassouvie de l’amour exclusif se gâche dans l’infidélité chronique. Leur croyance romantique et pure se noie dans les grands crus et les cocktails troubles. In vino « delitas ». Leur respect extrême dans les valeurs, déçu, se perd dans le nihilisme. Saupoudré de trop d’humour, leur amour transforme vos rires complices des premiers jours en larmes de solitude. Dès que j’ai vu Roger, puis, après que je l’aie lu, j’ai su qu’il était de ces jeunes gens gâtés qui finissent par casser leurs plus beaux jouets à force de vouloir prendre la vie comme une farce aussi ludique que morbide. Les fascistes ne sont-ils pas tous des fascinés de la mort ? Les suicidaires, des effrayés de la fin. Et les suicidés, des jeunes hommes, si non rassurés, tout du moins apaisés. « Viva la muerte » n’était certainement pas le cri de guerre préféré de Sartre et Malraux. Étouffé ou scandé, il a toujours été l’appel désespéré d’une jeunesse extrême refusant tellement la déchéance du temps qu’elle est capable des pires excès, des plus atroces compromissions, paradoxalement par une crainte presque naïve, puérile et pure, des compromis et de la fin. Ces jeunes impertinents qui toujours refusent de douter des idéaux qu’ils savent pertinemment douteux parce que, quitte à choisir de faire une connerie, ils préféreront toujours être des cons damnés que des cons promis. »
Martine et Roger, Edmond Tran.
« Aujourd’hui, en 2012, que veut dire être hussard ? Pas grand-chose, j’ai bien peur. Nimier et Blondin sont des mythes fondateurs, mais qui les lit vraiment ? L’œuvre de Jacques Laurent est (honteusement) au purgatoire. Seul reste Déon, noble et droit, qui n’a jamais eu la morgue d’un gardien du temple et a composé son œuvre sur plus de soixante ans.
De nombreux auteurs se réclament de cette école, sans vraiment la connaître, car elle ne signifie pour eux qu’un savant cocktail d’élégance et d’insolence, de désinvolture et de provocation, de dandysme et de phrases qui pointent. […] Je me demande surtout ce que des « Hussards » auraient à faire dans une époque comme la nôtre. Dans les années cinquante, régnait une force de vie, des ferraillements d’idées, des querelles flamboyantes, qui se sont noyés dans le morne magma médiatique. En un mot: aujourd’hui, on s’emmerde. Les provocateurs sont patentés, les insolents syndiqués. Pour jouer les vieux cons, je dirais que le niveau général, voici un demi-siècle, était bien plus élevé qu’aujourd’hui. Tout reposait encore sur la langue, sur le « dire », sur les formules. Aujourd’hui la forme n’a plus de sens: tout est dans le fond immédiat, l’information à outrance, la communication instantanée, le tweet permanent.
Tout savoir tout de suite sur tout le monde. Devant la vague des tweets et autres sms, on aurait pu espérer voir jaillir de nouveaux Fénéon; las, c’était trop demander. Nous gisons dans une grisaille perpétuelle, à l’image du temps qui s’est installé sur Paris à datéer du printemps 2012: n’est-ce pas là une malédiction ? Aujourd’hui, les provocateurs, les vrais insolents, sont ceux qui choisissent l’ombre. Entrer dans le jeu des polémiques vont rend esclave du système. L’exil est la seule solution, la rareté la seule tactique. »
Hussards? Connais pas…, Nicolas d’Estienne d’Orves.
« La littérature engagée, avec son air martial et ses bonnes résolutions, est sympathique dans la mesure où les fayots sont sympathiques dans un régiment de cavalerie. » Roger Nimier
Extraits tirés de la Revue Bordel n°17: Hussards, 2012. (Stéphane Million)
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