Le confort intellectuel

« Il se peut que le confort passe pour un privilège de la bourgeoisie. Et après ? Il n’y a là rien qui le condamne. Il me semble que si je me présentais à la députation dans un quartier ouvrier, mon premier soin serait de promettre aux citoyens le confort matériel. Je ne crois pas que les candidats en usent jamais autrement. Et si, après avoir promis à mes futurs électeurs le confort matériel, je leur promettais le confort intellectuel, ils n’auraient pas lieu d’être froissés ni mécontents, au contraire. En fait, je n’irai jamais solliciter les suffrages de la classe ouvrière. Elle m’inspire bien sûr des sentiments chrétiens, mais assez proches de l’indifférence. Pourquoi ne le dirais-je pas, puisque c’est la vérité ?

Mais vous, en tant qu’écrivain et parce qu’il vous faut bien plaire aux femmes du monde et à la jeunesse dorée, vous êtes professionnellement révolutionnaire et, loin de vous laisser indifférent, le sort des masses laborieuses vous tient très à cœur. Dans le regard de vos yeux humides d’enthousiasme, je lis votre désir ardent de vous consacrer à leur libération. Vous caressez le rêve généreux d’assurer au peuple, par la magie de votre plume et par votre éloquence (vos confrères en crèveraient de jalousie), la facilité matérielle et ce fameux confort intellectuel dont vous lui aurez, le premier, révélé le bienfait. Ma foi, c’est une belle entreprise. Allez-y, foncez droit au but et proclamez le règne du confort intellectuel. La tâche sera rude, mais finalement, quel triomphe ! Vous aurez à votre botte toute la haute mode littéraire. Nos jolies femmes et nos adolescents précieux vous feront cortège et vous dorloteront. Ah ! mon bon ami, comme je vous envie et comme je voudrais être à votre place. Ah ! pourquoi n’ai-je pas votre immense, incisif, persuasif, généreux et coloré talent ! »

Le confort intellectuel, Marcel Aymé, 1949.
Légende: Henri-Gustave Jossot, 1904.

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