Le vrai fascisme

« Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé « la société de consommation », définition qui paraît inoffensive et purement indicative. Il n’en est rien. Si l’on observe bien la réalité, et surtout si l’on sait lire dans les objets, le paysage, l’urbanisme et surtout les hommes, on voit que les résultats de cette insouciante société de consommation sont eux-mêmes les résultats d’une dictature, d’un fascisme pur et simple. Dans le film de Naldini, on voit que les jeunes étaient encadrés et en uniforme… Mais il y a une différence: en ce temps là, les jeunes, à peine enlevaient-ils leurs uniformes et reprenaient-ils la route vers leurs pays et leurs champs, qu’ils redevenaient les Italiens de cinquante ou de cent ans auparavant, comme avant le fascisme.

Le fascisme avait en réalité fait d’eux des guignols, des serviteurs, peut-être en partie convaincus, mais il ne les avait pas vraiment atteints dans le fond de l’âme, dans leur façon d’être. En revanche, le nouveau fascisme, la société de consommation, a profondément transformé les jeunes; elle les a touchés dans ce qu’ils ont d’intime, elle leur a donné d’autres sentiments, d’autres façons de penser, de vivre, d’autres modèles culturels. Il ne s’agit plus, comme à l’époque mussolinienne, d’un enrégimentement superficiel, scénographique, mais d’un enrégimentement réel, qui a volé et changé leur âme. Ce qui signifie, en définitive, que cette  » civilisation de consommation  » est une civilisation dictatoriale. En somme, si le mot de « fascisme » signifie violence du pouvoir, la « société de consommation » a bien réalisé le fascisme. […]

Pour moi, la véritable intolérance est celle de la société de consommation, de la permissivité concédée d’en haut, qui est la vraie, la pire, la plus sournoise, la plus froide et impitoyable forme d’intolérance. Parce que c’est une intolérance masquée de tolérance. Parce qu’elle n’est pas vraie. Parce qu’elle est révocable chaque fois que le pouvoir en sent le besoin. Parce que c’est le vrai fascisme d’où découle l’antifascisme de manière: inutile, hypocrite, et, au fond, apprécié par le régime. »

Ecrits corsaires, Pier Paolo Pasolini, 1974.
Légende: American Madness, Frank Capra, 1932.

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