Les Aventures de la Musique Américaine

LE ROCK’N’ROLL

Ça et là, dans l’histoire de la musique américaine, on trouve un Blanc qui désire être noir avec, exceptionnellement, une montre à l’heure: être noir, à la façon des Afro-Américains de son âge. Plutôt que se barbouiller la peau, celui-là veut être noir de l’intérieur: hip, cool et la suite. Pour lui, le mot minstrel ne convient pas; il est cet oxymoron, un white hispter, un mec à la coule, bien que blanc. Traditionnellement, il faut bien le dire, ce dernier est rarement anglo-saxon et protestant. De préférence grec (comme Johnny Otis), turc (comme les frères Ertegun) ou juif (comme Gershwin, Leiber et Stoller et Rick Rubin) – en un mot, blanc de deuxième classe, métèque.

Les Juifs, particulièrement, font de splendides white hipsters. Peut-être parce qu’ils savent l’heure qu’il est. Non pas, au risque de décevoir, parce qu’ils sont élus ou plus intelligents. Mais parce que, eux aussi, comme les Noirs, certaines brimades les dissuadent, ne serait-ce que de la tentation de participer au rêve blanc. La méchanceté WASP les protège d’eux-mêmes. Tôt ou tard, blam! leurs enfants rentrent de la maternelle en larmes et demandent à leurs parents ce que youpin veut dire. Le chèque et le formulaire qu’ils avaient rempli leur sont retournés: le Country Club local ne « veut pas d’eux comme membres ». Les yeux s’ouvrent.

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Ainsi compte-t-on depuis cent ans des interprètes, adaptateurs et vulgarisateur juifs de toutes les musiques noires, de Georges Gershwin et Irving Berlin aux Beastie Boys et Rick Rubin, en passant par Phil Spector. Au passage, à New York, c’est devenu une tradition: un nouveau genre musical noir n’est vraiment constitué que le jour où un feuje y met son nez – ou plutôt, disons ça autrement: ne devient audible par les Blancs moyens, les WASPs, donc ne devient rentable, que le jour où le feuje le leur a traduit.

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Ainsi accouche-t-il de la Pop. Comme par hasard appelée musique « populaire » – ce qui est un euphémisme. Parfois, la pop réduira ces pierres brutes que sont le jazz, le country et le Rock au plus bas dénominateur commun. Quelquefois, elle les transcendera et les hissera jusqu’à la stratosphère de l’Évidence et de l’Éternité.

Or donc, sans les Juifs citadins, bien forcés de penser la diffusion des produits de la terre s’ils veulent y avoir accès, le Rock serait resté dans les juke joints et l’agriculture demeurée vivrière. Le country et le blues seraient restés du « fais-bouger-le-Billy » ou du « Bamboula-a-le-coeur-gros », chacun dans son coin. Et jamais, en France, n’aurions-nous entendu parler de leur fusion, le Rock & Roll.

LE HEAVY METAL

Né le jour où quelques jeunes WASP’s résolurent d’avoir le courage de leurs chromosomes, le Heavy Metal semble, dans son principe, plein de bon sens, honnête et résigné, dès lors qu’il procède de l’impossibilité des blancs, anglo-saxons protestants, à être noirs, de la conscience qu’ils en prirent et de la mauvaise humeur qui purent en concevoir: le Heavy Metal est ce qui, vers la fin des années 60, se rebiffe contre la dictature du bon goût blackophile, du cirage que les Rolling Stones se tartinent sur les joues, ou de cette notion qu’il n’est de « bonne musique » que noire ou efforcée de l’être.

Le Heavy Metal dit, plutôt notre boucan idiot que leurs rythme subtils. Le Heavy Metal dit: tant pis si notre idée d’un peu de bon temps est moins souple, sensuelle et raffinée, du moment que c’est la nôtre! Le Heavy Metal n’a pas de complexes, ou en tout cas pas ceux-là. Plutôt que s’essouffler à la poursuite d’une négritude impossible, il prend le parti de réaffirmer sa blanchitude avec ostentation. […]

Le Heavy Metal, c’est: « On a pas de sex-appeal, de sens du rythme ou du swing, mais on peut faire tellement de bruit, motherfucker! » Sur les tam-tams, d’ailleurs, et contrairement à une idée reçue, pour en faire autant il faut être blanc. Lorsqu’on leur donne un tambour, seuls les Blancs produisent du potin brut. Toutes les autres couleurs y tapent de la musique, des signaux, un langage. D’où cet autre nom plus approprié du Heavy Metal: « White Noise ». Bruit blanc.
Autrement dit, le Heavy Metal, c’est encore: « J’en ai une petite, je ne sais pas danser, mais vos tympans vont me le payer. »

[…]

Mâle, prolo, frustré, et bruyant, le Heavy Metal reste, contrairement au punk-rock qui sait pourtant aussi être tout ça, rétif à toute édulcoration branchée. C’est que le Heavy Metal est trop compliqué: tour à tour « manipulé véreux » et irréductible gaulois, à la fois supercherie et dénonciation, un genre de national-socialisme, mais un genre d’anarcho-syndicalisme aussi. Un bel esprit est sûr d’y crotter ses souliers.

Mais, dans ses meilleurs moments; le Heavy Metal dit non. Non. Sorry. L’usine pour trois francs six sous, mal ou pas baiser, ressembler chaque année un peu plus à son père au même âge, le tout sans espoir que ça change, n’est PAS okay. Le Heavy Metal dit, et, ce disant, se dote de quelques échos prométhéens: non, ce n’est pas parce qu’on est blanc, laid et con qu’on a pas le droit de se fendre la gueule. Au contraire! Double dose. Double gnôle, double meufes. Pour compenser. Et que le vieux ne s’avise pas de venir réclamer sa bagnole avant qu’on ait fini. Le Heavy Metal est le seul à dire ça. Depuis vingt ans, ça ne tombe pas dans l’acné d’un sourd.

Et tandis que le bon goût s’effare devant le succès de tous ces groupes hirsutes, leur cher public, lui, fait les comptes. Ils sont laids, pas fufutes et on a bien fait de ne pas les attendre pour composer le riff de « Smoke on the Water » – n’empêche, tout laids et simplons qu’ils sont, room service, filles, party, ne jamais faire son lit, ils se sont quand même démerdés pour ne pas aller à l’usine. A croire qu’après tout, ils ne sont peut-être pas si cons que ça ?

Fuck, Laurent Chalumeau, 1991.

1 Commentaire

  1. Kate Pennington

    C’est pas nouveau, malheureusement ce genre de nouvelles. Au Maroc, en 2003, 14 fans de metal avaient été condamné à des peines allant de 1 à 12 mois de prison ferme pour le simple fait d’écouter du metal.