Grand con

« Je m’attendais depuis quelque temps à recevoir une de ces lettres d’insultes dans lesquelles tu excelles et qui te permettent pour un instant de t’imaginer écrivain. J’y réponds avec retard, triste bureaucrate malheureux, mon boulot ne pouvant pas attendre, ta connerie si.

Grand con, ta lettre m’a un peu déçu. Tu aurais pu trouver des arguments plus frappants pour justifier ton mépris. Que tu n’aies pas d’humour, je le savais, et le fait que tu n’apprécies pas mon faire-part ne m’étonne guère. D’autre part je n’ai pas trouvé trace dans mes archives d’une quelconque interview accordée aux Nouvelles Littéraires, mais simplement d’un article qui m’est consacré et dont la teneur et les propos, quelque peu débiles il est vrai, n’engagent que le journaleux qui a rédigé ce papier. Je peux, par contre, te faire parvenir quelques coupures de presse qui t’édifieraient quant à la connerie des propos qu’il m’est arrivé de tenir lors d’interviews. Je ne suis ni un théoricien, ni un philosophe, ni un beau parleur, et n’ai ni ta verve, ni ta faculté à envoyer chier nos contemporains, staliniens ou pas.

J’ai par contre la chance d’écrire des chansons qui ont (je te cite) «conquit l’audience de la jeunesse sauvage», et cette jeunesse, elle, m’est fidèle. Même si je mène parfois ma carrière avec maladresse, faisant trop de concessions aux médias, «l’admirable public qui s’est levé pour moi» est de plus en plus nombreux et, s’il te connaissait, grand con, il aurait vite fait de considérer que c’est toi, triste bureaucrate mondain, qui es indigne de publier mes textes. Cette jeunesse sauvage que tu ne connais pas, ces jeunes prolétaires que tu ne fréquentes pas, ces enfants de Mesrine qui fredonnent mes chansons dans leurs prisons quand ce n’est pas moi qui vais les leur chanter, et même les «enfants nihilistes des néo-collèges», tous ceux-là te chient à la gueule.

Enfin, sache, grand con, que je n’ai jamais écrit une chanson sur commande, que personne ne me dictera jamais ce qu’il serait bon ou mauvais pour moi d’écrire. Cette chanson sur Mesrine que tu me reproches de ne pas avoir écrit à l’époque, comme tu semblais l’exiger, despote, sache que je l’ai écrite depuis, lorsque j’en ai eu l’envie, la possibilité, l’inspiration. Elle sera sur mon prochain disque. Je te rappelle que le précédent était dédié à Paul Toul, dernier nom que porta Mesrine, à l’époque où ton courage se limitait à palabrer sur lui dans tes salons.

Tiens-toi donc au courant, grand con, au lieu de te terrer dans ton bureau sinistre en donnant consignes à ta blondasse de me faire croire à ton absence. T’as pas d’couilles, Lebo, alors toi aussi oublie-moi vite, et ne t’avise pas de me renvoyer une de tes pauvres bafouilles de merde ou tu goûteras certainement dans ta sale tronche à quelques paires de Santiag’ * à bouts pointus qui, elles, n’auront rien de faibles ou de factices.

Puisque tu es devenu visiblement la sous-merde que tu étais déjà essentiellement, mon public, ma gonzesse, mon enfant et moi-même te crachons à la gueule.
Adieu grand con. »

Lettre de Renaud Séchan à Gérard Lebovici (Editions Champs Libre), Janvier 1980.
Une histoire à lire dans Schnock #25.

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