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Un monde sans joie

« Tous les mouvements concertés de l’industrie et des fleuves, des voies ferrées et des grandes lignes maritimes achevaient d’arracher Antoine au sillon terrien où il avait germé, et d’où il avait été ébranlé avant l’âge. Il se sentait pauvre, il connaissait de bonne heure cette ambition douloureuse des fils d’ouvriers qui voient s’entrouvrir devant eux les portes d’une nouvelle vie. Comment se refuseraient-ils à abandonner le monde sans joie où leurs pères n’ont pas eu leur content de respiration, de nourriture, le content de leur loisir, de leurs amours, de leur sécurité ? Le malheur c’est qu’ils oublieront ce monde promptement et se feront les ennemis de leurs pères. Antoine n’imaginait plus à quinze ans que son avenir pût se dérouler ailleurs que dans les régions où résonnent les plaques de tôle, où l’on rive, où l’on frappe, où les sirènes à vapeur mettent le ciel en lambeaux, et où grandissent les hauts squelettes des chantiers. Il s’y voyait naïvement sous la figure d’un chef. L’indifférence, la passivité paysannes qu’il avait d’abord absorbées par tous les pores sous les arbres, au pied des collines usées du Finistère, s’évanouissaient à chaque mise en marche de moteur, à chaque départ de bateau, à chaque démarrage de train. »

Antoine Bloyé, Paul Nizan, 1933.
Légende : La Bête humaine, Jean Renoir, 1938.

Le cas Delvaux

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