« La sexualité forme la totalité du monde fantastique épico-lyrique des Italiens. Un écrivain original est un écrivain qui parvient à trouver une nouvelle solution à un problème psychologique dont les termes ne changent jamais: l’amour, la passion, l’adultère. La gamme des tonalités peut s’écraser dans la plus plate des pornographies ou bien atteindre le plus mièvre des clairs de lune sentimentaux. Voici les héros: le jeune gentilhomme décadent, élégamment vicieux, la cocotte spirituelle, la jeune fille qui se débat entre les mœurs traditionnelles et l’émancipation, l’épouse qui n’éprouve pas de satisfactions suffisantes dans le rapport conjugal et ainsi de suite. Si les Italiens ne veulent pas ennuyer leurs lecteurs, ils doivent raconter des histoires de femmes, de chevaliers et d’amours (les armes sont interdites et réservés aux envoyés spéciaux).
La littérature est un cercle fermé, un cercle malade.
A lire ces livres, on a l’impression que l’Italie est un immense sérail plein de gorilles en chaleur qui font les sentimentaux, parce que le sentimentalisme est la voie la plus sûre pour atteindre le but convoité. Il semble qu’à l’exception de l’activité amoureuse il n’y ait aucune autre activité dans la vie, ou du moins que pour l’Arcadie artistique qui a fixé un modèle extérieur de perfection, toutes les autres activités soient inférieures. Il semble que la vie moderne dans son ensemble, traversée par la fièvre du travail, riche des drames spirituels provoqués par la lutte des classes, par le choc des intérêts antagonistes, ne puisse devenir un contenu artistique à l’exception de quelques rares cas, offerts par les pirates des portefeuilles, mais surtout par les pirates des alcôves. Il y a un déséquilibre dans l’activité littéraire qui est le résultat de la vie superficielle de la réalité et qui reverse sur elle une quantité de marchandise frappée de superficialité, de légèreté, de vide rhétorique. »
Pourquoi je hais l’indifférence, Antonio Gramsci, 1917/2012. (Editions Rivages)
Légende: The Cranes Are Flying, Mikhail Kalatozov, 1957.
DERNIERS COMMENTAIRES