Une boule de crottin !

« Je vous prouverais que la Civilisation est détestable ; que plus l’Homme s’écarte de la Nature plus il souffre ; que votre prétendu Progrès est un Regrès [sic] ; que les inventions mirobolantes et le perfectionnement du machinisme contribuent, pour une large part au malheur de l’Humanité et que le véritable commencement c’est l’évolution de l’Esprit. Qu’avons-nous découvert dans le domaine philosophique depuis les Grecs ?… Rien.

J’écrirais encore bien des choses dont vous vous ébaubiriez car mes idées ne sont pas celles de tout le monde : vous ne voudriez tout de même pas qu’un artiste pense et s’exprime comme un Philistin, qu’il bêle avec les moutons du troupeau.

Ne croyez pas, cependant, que je m’évertue à cultiver le paradoxe : sous leur légèreté apparente mes propos sont sérieux, et même je possède une réserve d’arguments contre les objections.

Je pourrais encore vous dire que je suis infiniment plus révolté que vous sans être révolutionnaire ; j’estime que les chambardements sociaux n’ont jamais modifié que les mots sans supprimer les maux. C’est l’individu qui doit opérer la révolution en lui-même ; en portant la torche dans ses ténèbres, il s’apercevra que les écuries d’Augias sont encore encombrées d’ordures mentales, d’opinions fausses, de préjugés, et qu’elles ont besoin d’un rude coup de balai.

Si chacun de vous procédait au ramonage de son for intérieur, vous constateriez tous que la révolution sociale s’accomplit d’elle-même, qu’elle se fait toute seule, comme la queue du chat est venue sans qu’on la tire. Ce n’est donc pas dans le macrocosme visible qu’il faut agir, mais dans la région la plus invisible du microcosme, dans la pensée individuelle.

La planète sur laquelle nous végétons n’est qu’une sale boule de crottin ; or il n’y a rien à tenter sur le fumier : plus on le remue plus il pue. »

Sauvages Blancs !, Henri-Gustave Jossot, 1921/2013. (Éditions Finitude)

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