Bibi Flash – Histoire d’1 hit

« Histoire d’1 soir », double-titré « Bye bye les galères », a déferlé sur la France des tubes de l’été et des radios libres comme un boulet de canon fin 1983. Chantée par une certaine Bibi Flash, étudiante en cinéma à La Sorbonne exilée de sa ville natale, Le Havre, et livrée à elle-même dans le Paris du Palace, des producteurs chaud-lapins et du showbiz, le titre sonnait comme ses prédécesseurs, Chagrin d’Amour et Élégance : un disco-funky parlé qui évoquait les vicissitudes nocturnes de la vie urbaine, avec quelques vices cachés en bonus. Devenue chouchou de NRJ et estampillée « passionara des funkies » par la presse jeune dès son troisième 45 tours, Bibi arrêtera les études, fera le tour de l’hexagone et des plateaux télé pour chanter l’hédonisme parisien. Elle s’éclipsera après une poignée d’autres maxis et un album intitulé Imposture, sorti en 1987. Mais l’histoire de « Bye bye les galères » a duré bien plus d’un soir, son refrain résonne encore 34 ans plus tard et pour la première fois, Bibi Flash en personne raconte l’histoire de ce morceau dans le détail.

Au départ, moi je voulais être metteur en scène, mais j’aimais quand même la musique, je chantais, ce n’est pas venu par hasard, j’ai forcé le destin pour y arriver. J’avais acheté Le guide du showbiz, je ne sais pas si ça existe encore, et j’avais téléphoné un peu partout, de mon propre-chef, pour avoir des rendez-vous. J’ai donc passé une audition au Palais des Congrès, avec mon futur producteur, Philippe Renaux. [producteur space-disco de la fin des années 70 (Les Rockets), il créera son propre label au début des années 80, Clever, ainsi que l’éditeur Pianola Music]

Il me demande ce que je veux chanter, en me disant que les personnes du label allaient arriver après. Je me lance, et vu que je n’avais jamais eu  d’expérience en studio, je n’avais pas compris que les personnes étaient déjà là, de l’autre côté de la vitre. Ils ont été OK et j’ai sorti mon premier 45 tours, Détective, quelques mois plus tard.

Un jour, on s’est posés en studio et il a commencé à jouer au piano, très libre. Il me dit « qu’est-ce tu fais c’soir ? » en me parlant. Et c’est venu comme ça… On rigolait, « ça pourrait commencer comme ça », c’était assez léger quoi. Le titre a été enregistré tôt, et est sorti longtemps après celui de Chagrin d’Amour. Quand on a entendu « Chacun fait », on est devenu blêmes, on n’avait pas copié, ni rien, c’était juste l’air du temps… J’avais rencontré Elegance également qui avaient une émission de radio dans le Midi, ils m’avaient interviewée et m’avaient dit « on va sortir un disque nous aussi », et c’était « Vacances j’oublie tout ».

Les paroles du titre, c’était vraiment notre quotidien de l’époque, Philippe allait réellement « chez Albert », le mari d’Olympe, qui avait donné son nom à un restaurant du 15ème arrondissement où beaucoup de gens de la nuit se retrouvaient. Olympe a plus tard fait les menus du Costes. Bref, tout était connoté. Ce sont des clins d’œil à mes amis et à ceux de mon producteur, qui avait une vie privée assez… dense, on va dire. Il y a d’ailleurs eu un couplet qui a été censuré sur Europe 1 et les grosses radios. Il est présent sur certaines versions du disque et pas d’autres. Soit disant, ça parlait de drogue. C’est un peu comme l’histoire des sucettes de France Gall. Moi au départ, je n’ai pas réalisé. Tout dépend des interprétations, le dernier couplet a donc sauté de la version radio.

Appelle Tina, dis-lui qu’Philippe
N’a rien pour elle, est désolé
Et que peut-être, vers les cinq heures
Il voit un mec au Pub Anglais
Histoire d’un soir c’était hier
On s’est plantés, oublie l’affaire
C’est la descente, bonjour la pente
Tu vas tout droit, valium badoit

Pour l’enregistrement, Philippe Renaux s’était réservé le droit de faire la musique sans que je sois là… Il avait des musiciens, les frères Costa, Roland Romanelli, que je vois toujours aux génériques de certaines séries d’ailleurs, tous les musiciens qui tournaient avec tout le monde à l’époque. Il m’a ensuite demandé de venir poser ma voix, « on va faire une voix témoin ». Moi, je rentrais d’un gala, épuisée, en général on avait besoin du début de semaine pour récupérer, et on m’a forcée à venir au studio dès le lundi. J’y suis allée, très fatiguée, j’ai fait la voix témoin et c’est cette voix qu’on a gardé, parce qu’on n’a jamais retrouvé le climat de la première prise. Quand j’avais la pêche, et bien c’était moins bien. En général, ça se passait toujours comme ça, le premier jet était le meilleur. Donc sur « Bye bye les galères », c’est la voix-témoin qu’on entend, du début là la fin.

Ce soir on sort, on oublie nos galères
Ce soir on sort et on oublie tout
Ce soir la vie n’est plus un enfer
Ça flashe partout
Ce soir on sort, on oublie nos galères
Ce soir on sort, on n’oublie pas tout
On va oublier tout, oublier tout, tout oublier,
Oublier.

Personnellement, je trouvais le refrain un petit peu trop variété, il manquait peut-être un peu d’harmonie, mais il y avait un son, quand même. Il y avait les Gibson Brothers, je crois qu’il a pris un membre du groupe pour le passage en anglais, « Dance the night away », puis le titre a été mixé par Dominique Blanc-Francard. Je trouvais que le morceau avait un truc différent des autres, même si le refrain était un peu trop « nian nian». J’étais jeune, j’étais rebelle et en même temps soumise, parce que je réalisais bien qu’il y avait 1000 chanteuses qui attendaient derrière… J’étais consciente que j’avais la chance de faire ça, et j’espérais faire de plus en plus ce que j’avais envie, malgré les concessions. D’un autre côté, fallait quand même assimiler tout ça pour être crédible, jouer le jeu, et puis on s’amusait aussi… C’est à cause du public que « Histoire d’1 soir » est devenu « Bye bye les galères », c’est comme ça que tout le monde l’appelait. J’ai vu l’engouement énorme donc au final je l’aimais bien ce titre.

Le disque est sorti en Belgique, en Suisse, au Canada, je devais aller chanter dans un stade là-bas, j’étais n°3 dans leur hit parade, ça marchait très bien, ils étaient venus me voir à Paris. De 1983 à 1984, je n’ai pas arrêté, c’était épuisant, entre les interviews, les photos, les tournées, les télés…. Ma première télé a eu lieu un dimanche, juste avant un match de foot, dans Champions, animé par Michel Denisot sur Canal+, et c’était un pari réussi. L’engouement autour de « Bye bye les galères » a continué, ma sœur qui allait en vacances à La Clusaz, me disait que mon titre passait toujours sur les pistes. Je dirais que ça duré trois ans en tout.

On est branchés sur la radio
Dans la voiture ça sonne très gros
A la Concorde tu vas tout droit
Champs-Élysées, j’te dirai quoi

Il y avait en effet ce petit côté branché à l’époque. Moi qui ne connaissais pas du tout le showbiz – j’ai été élevé chez les bonnes sœurs, il y avait un certain décalage entre ma famille, sophistiquée, et ce milieu, ce mélange assez explosif m’a mis très à part. C’était perturbant pour ma famille de me voir passer à la télé par exemple, même s’ils ne s’y sont jamais opposé. Mon personnage était complexe, je ne pouvais pas tout contrôler, c’était ça le plus dur pour moi : être tirée de tous les bouts entre cette image qu’on m’avait donnée, mes aspirations, mes goûts et mes fréquentations.

J’avais une productrice avec qui je ne m’entendais pas du tout vestimentairement parlant, je faisais des compromis et après je trouvais ça horrible ! La pochette de « Bye bye les galères » par exemple, ça s’est décidé au dernier moment, avec des vêtements qui appartenaient au photographe, ce n’est pas moi. Après, il faut assumer. C’est pas toujours facile parce que, effectivement, ce n’est pas la même culture. Déjà, le nom « Bibi Flash » n’est pas mon idée, c’est Philippe Renaux qui l’a choisi, et j’ai eu un choc, un mauvais choc ! Et il a fallu assumer. Après, j’ai essayé de récupérer le coup, en inventant un personnage de BD, dans les derniers titres que j’ai fait et qui ne sont pas sortis, « Ca suffit ! », où j’étais une sorte de Barbarella dans un clip réalisé en 1992. Malheureusement, pour une guerre de show-business entre mon producteur et l’attaché de presse de la maison de disques, elle m’a mis de côté. Encore une question d’histoires sentimentales, horrible. On est quand même très sujets à la vie privée des gens dans ce milieu, ça tient à pas grand-chose.

Si tu veux m’joindre vers les 2h
J’serai au Privé jusqu’à 3h
Bye Bye les galères
On va changer notre atmosphère

On faisait tous ces galas, pendant des week-ends de trois jours, il y avait du budget à l’époque, les radios investissaient beaucoup, et on se retrouvait à l’hôtel, avec la même vingtaine d’artistes, Chagrin d’Amour, Gold, Niagara… Les soirées avaient lieu dans des stades ou des palais des congrès et c’était la folie. Il y a eut des choses épiques, à Marseille par exemple, je chantais « Bye bye les galères », tout allait bien, et en sortant de scène, on m’a dit que tout le public était en train de se bastonner devant, et moi je ne voyais rien ! Je me suis aussi fait piquer tous mes vêtements après un concert dans une boîte de nuit… Je faisais aussi le gala de la police, tous les ans à Paris, gratuitement. C’était au Midnight je crois, il y avait aussi de grosses discothèques à Paris, le 5ème Avenue, le Bataclan, dans lesquelles on jouait.

La pop des années 1980 changeait de tout ce qui était formaté variété française, là c’était que des brins de fantaisie, des duos improbables, c’était très diversifié. J’ai l’impression qu’à l’époque, les gens ne voulaient pas devenir célèbres comme aujourd’hui, c’était surtout une période où l’on avait envie de danser, de s’amuser, c’était plus bon enfant comparé à maintenant où tout est réduit à l’argent, au business. D’ailleurs, moi je me suis faite escroquer en beauté de tous les côtés… Et il y a beaucoup d’occasions que j’ai ratées. Daniel Vangarde, le père de Thomas Bangalter des Daft Punk, me suivait de très près, il voulait me produire mais je ne l’ai pas fait. Daho voulait me faire un titre, après celui avec Lio, puis ça ne s’est pas fait non plus, je regrette parce que j’aime beaucoup Daho. Je me comportais comme un serpent, je voulais éviter tous les problèmes sentimentaux, après, évidemment, ça me retombait sur le nez. Un jour, Claude Carrère m’a donné rendez-vous dans son bureau, qui était équipé de portes capitonnées, et j’ai vu qu’il les avait fermées à clé, donc là j’ai dit pas question, j’ai repoussé ses avances. Philippe Renaux [dont le label Clever était en licence chez Carrere] m’a alors dit « mais comment as-tu pu refuser, tu veux réussir ? » Je lui ai répondu « bah non », et il m’a dit « ce sera plus long »… Il a voulu arranger le coup avec son boss, mais ça ne s’est pas passé comme prévu, parce que j’avais du caractère, j’avais des limites. J’ai toujours évité ce qui est glauque. Et tant pis si ma carrière devait en pâtir.

Bibi Flash a arrêté la musique au début des années 90 pour se consacrer à sa vie privée. Aujourd’hui, elle travaille dans la décoration d’intérieur et aimerait bien que « Bye Bye les galères » vive à nouveau. Avis à la jeunesse.

Cet article est initialement paru sur Red Bull Music Academy en septembre 2017.

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