Costes chez les Indiens

« C’est un indien wayana. Bizarrement, il s’appelle Gérard. Il vient d’une tribu perdue dans les montagnes du centre de la Guyane. Ils sont plus qu’une trentaine, et évite le contact avec les étrangers. Gérard est le fils du chef. Son père l’avait confié un missionnaire pour qu’il apprenne la magie des blancs. En fait de magie, il a surtout appris l’alcool et le crack. Et s’est retrouvé à la légion avec Klaus. C’est Gérard qui guidait les militaires, quand ils traquent les trafiquants de crack et d’or au fond de la jungle… Une fois, Gérard a sauvé Klaus, agonisant de fièvre dans son hamac. Un vieux remède indien. Une autre fois, Klaus a sauvé Gérard des balles d’un Brésilien. Il a jeté son torse devant l’indien, et la balle mortelle a ricoché sur sa Croix de fer. Ça a scellé leur amitié. Ils ont bouffé crû un macaque en fumant une pipe de crack. Gérard a chanté un truc de sauvage en l’honneur de Poïneké Yum, le dieu-serpent. Et Kloklo lui a appris « Kam’raden, die rot Front und Reaktion erschossen ! »

Maintenant, ils sont frères de sang. C’est pour ça que Gérard a accepté de nous guider jusqu’au territoire indien. Sa tribu expulse les étrangers mais acceptera exceptionnellement Kloklo, frère magique de Gégé. « Et on pourra ramasser l’or de la montagne des indiens. Un filon jamais exploité. On va se faire des couilles en or, Pat! »

… « Mais pourquoi tu t’appelles Gérard? » … « Gérard Depardieu est venu dans notre tribu pour un tournage dans les années quatre-vingt. Le chef, mon père, a offert sa femme à l’acteur bourré à la bière de bananes. Ça fait partie de l’hospitalité chez nous. Neuf mois après, je suis né. Papa m’a appelé Gérard, trop fier que je sois le fils de la star. » … « Ah, c’est pour ça que t’as les yeux bleus. » C’est vrai que quand on voit ce tas de muscles et de graisse avec sa machette, on pense à Obélix sous crack peint en marron…

[…]

Évidemment, le soir de notre arrivée, ya eu une teuf de oufs. Déjà, à la base, les indiens sont des gros fêtards. Ils bossent pratiquement jamais. La jungle leur donne gratos fruits et gibier en abondance. En plus, ils ont le RSA. Alors ils glandent tous les jours dans le hamac en s’envoyant de la bière de bananes et des gros pétards…. Ils finissent par s’emmerder sans rien foutre à se défoncer entre eux. Alors, quand ils ont de la visite, c’est un bon prétexte à faire une méga-teuf qui les distrait de la mini-teuf permanente chiante. Et l’arrivée du premier bulldozer dans leur bled méritait une méga particulièrement méga.

Ils ont bien fait les choses. Brochettes de cochons, costumes folkloriques, tambours, danses, meufs avec trois perles sur la chatte et deux plumes dans le cul. Et pour booster l’ambiance, le rhum a boosté la bière, et le crack la ganja… Holalalala ! Après un mois de pénurie sur le bull, et six mois bloqués dans ma piaule, ça été le choc. Bouffe, dope et sexe à gogo. Trop d’un coup pour le Patou frustré. Au bout de dix minutes, je comprenais plus rien. Un joint dans une main, une cuisse de singe dans l’autre, je titubais dans le bordel de corps nus hystériques. Yavait des danses du ventre dans tous les sens. Des vieilles, des vierges, des pédés, des bébés. Des chiens qui se branlaient sur mes mollets. Et un perroquet sans ailes qui arrêtait pas de me picorer le cul en répétant « Patou! Patou! » La folie ! Je rampais entre les jambes en transe. Tirais sur toutes les bittes en gueulant « ding dong ! » Et « guili-guili ! » à toutes les moules… Ah, je me suis bien marré ! En plus, ça dérangeait personne. Chez les indiens, tu fais ce que tu veux. Tout appartient à tout le monde. Il ont un proverbe pour dire ça. « Pako toto. Pakou moumou. » En gros, ça veut dire: mon cul est ton cul, et ma bitte dans ton cul. J’en ai bien profité ! Un bec de perroquet dans le fion, sucé par le chien, léchant la moule de la vieille, le doigt dans l’anus de son petit-fils. Le grand délire de ma vie ! Ça m’a changé de ma cité. Les rebeus, c’est pas les Wayanas. Un guili-guili de moule et ils te tuent !

… Comme toutes les fêtes trop arrosées trop crackées, à la fin ça a viré glauque. Des indiens ivres sont partis récupérer des pirates morts dans la cascade. Ils ont ramené en zigzaguant trois corps à moitié bouffés par les caïmans. Les ont jeté devant le feu, et ont réveillé le sorcier. Ils voulaient faire Kopo-Kopo, un truc ancestral pour se venger des ennemis. Un truc tellement dégueulasse que l’État l’interdit. Le sorcier était pas trop chaud. Pas envie d’aller en taule. Les guerriers l’ont gavé de rhum et de crack, et il a accepté. Tous les hommes se sont accroupis autour de lui, et il a préparé une potion bizarre en chantant. Gégé ma tiré au premier rang. « Loupe pas ça, c’est pire que tous tes DVDs porno-trash. » … Le sorcier a distribué sa soupe. J’en voulais pas. Trop amer. Mais Gérard m’a forcé à avaler. « Bois la soupe de liane, et tu connaîtras tous les secrets du Dieu-Serpent. » J’ai bu, j’ai craché, j’ai bu. C’est comme le Gin Leader Price. Un goût dégueulasse. Mais plus t’en bois, plus ça passe. Et j’ai perdu les pédales… Les guerriers se sont transformés en animaux. Le jaguar, le singe. Et d’autres trucs bizarres, genre le dinosaure et le Marsupilami. Mes moustaches poussaient et je faisais miaou. Autour, les guerriers aboyaient, rugissaient, cancanaient. Tous vomissaient une longue épaisse morve sur leur sexe. D’un coup, le sorcier a fait son saxo free-jazz hyper aigu, en souffle continu dans un bonbon. Les tympans percés nous ont tordu la tête, et on est devenus complètement fous. …

[…]

Ça y est ! On a un bon camp de chercheurs d’or, avec des barbelés et un mirador ! Ça a pris un bon mois pour nous installer, mais maintenant c’est classe. Klaus a fait le plan en s’inspirant d’Auschwitz. Vachement fonctionnel.

Les ouvriers ont dégagé un carré de cent mètres de côté autour de l’œuf du Serpent. Le sous-bois a été coupé et brûlé. Mais on a gardé les grands arbres, pour pas être repérables du ciel. L’armée patrouille en hélico pour détruire les mines d’or clandestines… Tout autour du terrain défriché, on a mis des barbelés pour se protéger des pirates. Au centre, dans l’arbre le plus haut, un mirador. Idéal pour surveiller les ouvriers. Éviter qu’ils glandent trop, ou nous taxent de l’or… Au nord, ya le dortoir des prolos. Juste des poteaux et des bâches avec des hamacs en dessous. Au sud, on s’est fait construire un joli chalet. Avec tout le confort: télé, internet, Youporn. Une chambre pour Klaus, une pour moi. Comme ça, on pourra se branler tranquilles… Ya vraiment un contraste entre notre douillet logis et le taudis des ouvriers. « Comme à la Légion, comme à la SS, comme au Parti Communiste. Les chefs doivent être mieux traités pour être respectés ! » Alors, afin de renforcer notre autorité, on a foutu les chiottes et le groupe électrogène à côté des ouvriers. Pour les esclaves, le bruit et la puanteur. Par contre, le stock d’or, le planquera dans un baril vide sous le chalet…

Mais ça suffit pas d’avoir un bon camp de travail. Faut encore savoir le faire tourner. Pour la discipline, on s’est inspiré de la règle de Saint Benoit. Une idée de moi, parce que j’ai été au catéchisme. C’est un truc pour les moines. Mais ça convient parfaitement pour les prolos. Saint Benoit essayait de mater des barbares. Et il a trouvé une méthode super efficace: les fatiguer par le travail, les abrutir par le vin à la prière. On fait pareil. Sauf qu’on a remplacé le vin dans le crack, et la prière par la télé… Le boulot commencent à l’aube. Je monte sur le mirador avec la Kalash et tire la rafale du réveil. En bas, Klaus démarre le bull, klaxonne en continu. Les prolos nus sortent des hamacs et attrapent leur pelle. Ça sert à rien qu’ils s’habillent, vu qu’ils pataugent dans la boue toute la journée… La pelleteuse creuse le lit du ruisseau autour de l’œuf du Serpent. Les ouvriers balancent la boue sur le tamis, puis rincent avec le karcher pour récupérer les pépites. Un boulot infernal ! Faut bouger des centaines de mètres cubes par jour. Pas le temps de prendre des pauses. Juste deux petits breaks caca et crack vite fait. Pour qu’ils garde la pêche, on leur file la dope gratos. Conseil de Saint Benoit. « Traitez bien les frères, et ils travailleront dans la joie. » Et c’est vrai qu’une petite pause crack, ça fout de la joie et du speed. Et en plus, ça coupe la faim. Alors, un seul repas à minuit suffit. Haricots sardines. Et puis télé à gogo. Ils dorment nus dans un bourbier sous une bâche trouée, mais ils ont un super écran géant. On leur balance toute la nuit des matchs de foot et du porno. Rien de tel qu’une bonne branlette et deux buts pour endormir le prolo… Et à l’aube, rebelote le boulot.

Guerriers amoureux, Jean-Louis Costes, 2013. (Eretic)
Légende: Tintin et les Picaros, Hergé, 1976.

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