Iceberg Slim: Talking Jazz

De son vrai nom Robert Lee Maupin, Iceberg Slim fut, est, et restera l’archétype du mac modèle, qui engendrera, bien malgré lui, générations de voyous. Il aura suffit d’un livre, un seul: PIMP, the story of my life sorti en 1967 pour installer la légende. Une autobiographie violente, glauque, sans espoir, et sûrement aussi un peu mytho. Des contes du racisme et du sexisme ordinaire. 20 ans à arpenter le turf, de 1940 à 1960, 20 ans à renifler des noires et de la blanche, de Milwaukee à Chicago en passant par Rockford, Illinois. Il raccrochera le manteau de vison pour écrire sa vie… sans se douter qu’il ne sera pas au bout de ses soucis…

C’est ce que Jorge Hinojosa a voulu examiner en tournant un documentaire sur l’icône afro-américaine morte en 1992. PORTRAIT OF THE PIMP, sorti en 2012, ne t’apportera pas grand chose si tu as lu le livre. Quelques apparitions du malin, des photos d’archives, et plein de mecs chiants (voire universitaires) assis dans des fauteuils. Quelques noirs américains connus sont également venus témoigner de l’impact du bonhomme : Ice-T, Chris Rock, Henry Rollins, Snoop Doog, Quincy Jones ou Bill Duke. Quoi ? Ses filles et son ex-femme concluent d’une manière quelque peu embarrassante l’éloge funèbre en laissant une question en suspend: doit-on séparer l’œuvre de Robert Beck des basses œuvres d’Iceberg Slim ?

On s’en fout et on lit les extraits suivants pour trancher, au son de la playlist que Bobby m’a balancé par deathmail la semaine dernière. [Traduction de Jean-François Ménard publiée aux Éditions du Rocher en 1969, 1987 puis aux Éditions de l’Olivier en 1998.]

DUKE ELLINGTON – Mood indigo (1930)

« L’aube se levait tandis que la grosse Cadillac filait le long des rues. Mes cinq putes bavardaient comme des pies soûles. Je sentais la puanteur typique que dégagent les tapineuses à la fin d’une longue nuit de travail. Mes parois nasales étaient à vif. C’est ce qui arrive quand on se bourre de cocaïne.
J’avais le nez en feu. En respirant l’odeur de ces putes mêlée à celle de l’herbe qu’elles fumaient, j’avais l’impression que des lames de couteau invisibles me raclaient la cervelle à la racine. J’étais d’une humeur massacrante, malgré le gros tas de fric qui remplissait la boîte à gants.
– Nom de Dieu, y en a une qui a chié dans sa culotte ou quoi ? beuglai-je en faisant pivoter le déflecteur vers moi. Il y eut un long silence. Puis Rachel, ma pute de confiance, répliqua d’une voix délicieusement cajoleuse:
– Mon chéri adoré, c’est pas une odeur de merde que tu sens. On a bossé toute la nuit et il n’y a pas de salle de bains dans les bagnoles où on éponge les michetons. On a travaillé dur rien que pour toi, mon chéri, et ce que tu renifles, ce sont des culs de pute bien dégueulasses. »

ELLA FITZGERALD – A-ticket, a-tasket (1938)

BILLIE HOLIDAY – My man don’t love me (1939)

« – Espèce de connasse, si c’est le calme plat, t’as qu’à créer l’évènement. Une pute, c’est normal qu’on lui colle au cul. Laisse donc Costello t’embarquer. Tant qu’il t’aura pas chopée avec un micheton, il pourra rien te reprocher. T’as du sang de poulet dans les veines ou quoi ? T’es trop con pour comprendre à quoi ça sert, les liasses de biffetons que j’ai dans la poche ? Allez, tire-toi d’ici et va bosser. t’en fais pas pour la pluie. T’as qu’à passer entre les gouttes, pétasse. »

BENNY GOODMAN – Stomping at the Savoy (1934)

HAL KEMP & HIS ORCHESTRA – Gloomy sunday (1936)

« – Écoute bien pétasse, répondis-je, même quand ton cul merdeux sera mort et enterré, tu seras toujours une pute. Un de ces quatre matins, tu va casser ta pipe et je te tirerai ma révérence en t’appelant la demi portion des cimetières. Je le sais bien, connasse, que tu es un être humain. Tu es un être humain tout noir qui sert de poubelle à ces connards de blancs pour qu’ils puissent se vider les couilles. Espèce de sombre idiote, je vais te foutre par la fenêtre si jamais tu ne te défonces pas le cul pour me rapporter du vrai fric. N’essaie pas de mieux comprendre les michetons, pétasse. Essaye plutôt de mieux comprendre ce que je te dis. Si tu n’arrêtes pas tes conneries, je t’arrache le cœur et je marche dessus. Et maintenant, ferme ta gueule tant que je n’ai rien à te dire. »

GLENN MILLER – Tuxedo junction (1939)

« Je veux tout contrôler chez mes putes. Je veux être le patron de leur vie tout entière, et même de leurs pensées. Il faut que je leur mette dans la tête que Lincoln n’a jamais aboli l’esclavage. »

« Pour être mac, il faut être glacial, aussi froid que la chatte d’une pute morte. »

« Même s’il se coupait la bite, un bon mac pourrait continuer à faire tapiner ses filles. »

« Dans la vie d’un mac, ce qui s’est passé hier n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est ce qu’on fait aujourd’hui. »

THE INK SPOTS – Whispering grass (1940)

LIONEL HAMPTON – Flying home (1942)

« Plutôt sucer milles queues scrofuleuses, plutôt nager dans une merde infecte,
Que de toucher la fente d’une femme honnête.
Car une boue verdâtre salit leurs pieds puants
Et la morve ruisselle de leurs nez dégoûtants.

Que toutes les honnêtes femmes, femmes honnêtes et rangées
Par l’immonde vérole se voient annihilées.
Qu’elles tombent à travers leur propre trou du cul
Qu’elles s’y brisent les os, qu’elles aient le cou rompu.
»

BILLY ECKSTINE & HIS ORCHESTRA – I love the rhythm in a riff (1945)

« Il y a dans ce pays des milliers de nègres qui s’imaginent qu’ils sont des macs. Je ne prends même pas la peine de mentionner les macs blancs, ce sont des gonzesses. Aucun d’entre eux ne respecte les règles du livre. Ils n’en ont même jamais entendu parler. S’ils étaient noirs, ils mourraient de faim.
En tout, il ne doit pas y en avoir plus de six qui connaissent le livre et qui sachent en observer les règles. Ce livre-là, tu ne le trouveras pas dans les manuels d’histoire qu’on fait lire aux Blancs et aux petits Noirs bien sages. La vérité, c’est que ce livre a été écrit dans leur tête par des nègres fiers et lucides, d’anciens esclaves libérés. Ils n’étaient pas paresseux, mais ils en avaient marre jusqu’à la nausée de cueillir le coton des Blancs et de lécher leur sale cul. Le temps de l’esclavage était gravé dans leur mémoire. Alors ils sont allés dans les grandes villes et ils ont vite compris.
En fait, ces salauds de Blancs n’avaient pas libéré les nègres. Les grandes villes ressemblaient aux plantations de coton du Sud. Les Oncle Tom serviles continuaient d’accomplir les besognes les plus dures et les plus répugnantes pour le compte des Blancs.

Ces nègres lucides, les héros de ce temps-là, hurlaient comme des mômes en colère. Ils voyaient les blancs qui continuaient à baiser les jolies Noires, comme au temps des plantations.
Et les filles étaient des idiotes. Elles s’envoyaient en l’air gratuitement avec les Blancs. Elles ne se rendaient pas compte de tout le fric que pouvait rapporter leur gros cul noir et voluptueux.
Alors, ces premiers macs noirs ont commencé à expliquer à ces idiotes qu’elles avaient une mine d’or entre les cuisses. Ils leur ont appris à tendre la main pour prendre le fric des Blancs. A l’époque les seuls nègres qui arrivaient à être des caïds dans ce pays, c’étaient les macs et les tricheurs.
Ils étaient bien habillés et avaient des pur-sang. Ces macs étaient des Noirs de génie. Ce sont eux qui ont écrit ce livre dans leur tête, le grand livre du mac. Et aujourd’hui encore, s’il n’y avait pas cette armée de michetons blancs surexcités, les macs noirs crèveraient de faim. »

NAT KING COLE – That’s my girl (1950)

« L’homme blanc a toujours été avide de baiser des négresses depuis la première fois qu’il a senti l’odeur d’une chatte noire. Les putes noires se sont mis dans la tête que la seule raison pour laquelle il les suit à la trace, c’est que les Blanches n’ont pas ce qu’il faut pour satisfaire ses désirs.
Mais moi, je sais qu’il y a deux autres raisons, des raisons secrètes et malsaines. Des raisons que les Blanches ne connaissent pas plus que les Noires. Ces idiotes de Blanches ne savent même pas pourquoi les nègres sont bouclés dans des enclos bien verrouillés. L’homme blanc aimerait beaucoup mieux que les Noires ne soient pas enfermées. Mais il a une trouille bleue que les mâles noirs envahissent son monde et qu’ils viennent se frotter le ventre contre la peau douce des Blanches.

C’est ça la véritable raison pour laquelle il enferme les nègres. A ses yeux, les femmes noires ne valent pas plus que la boue qui lui colle aux semelles. Pourtant, ses couilles exploseraient s’il n’allait pas se glisser en douce à l’intérieur de l’enclos pour baiser ces négresses qu’il considère comme des demi-sauvages à peine humaines. Ça te montre à quel point il est malade. »

FIN.

1 Commentaire

  1. Freddie Fresh

    Tiens je savais pas que Henry Rollins était noir … (à moins qu’on ne parle pas du même personnage …)

    Lecture essentielle sinon. Le film donne pas vraiment envie, tout est déjà dans le bouquin.