La Légende de la Mort

PRATIQUES DE DIVINATION POUR SAVOIR QUAND ON MOURRA

« Dans la région de Saint-Jean-Trolimon (pays de Cap-Caval), il était naguère d’usage, au commencement de chaque année, de couper et de beurrer autant de tartines de pain qu’il y avait de personnes dans la maison. Le chef de famille prenait ces tartines et les lançait en l’air successivement en disant à mesure :
– Celle-ci pour un tel… Celle-ci pour tel autre…
Et, ainsi de suite, jusqu’à ce qu’il eût nommé tout le monde, sans s’oublier lui-même. Chacun, alors, se baissait pour ramasser sa tartine. Malheur à qui trouvait la sienne renversée sur le côté beurré : il était sûr de mourir dans l’année. »

 

LES MAISONS NEUVES ET LA MORT

« Il ne faut jamais entrer pour la première fois dans une maison que l’on vient de faire construire sans s’y être fait précéder par un animal domestique, chien, poule ou chat.

Quand une maison neuve est en construction, l’on a pas plutôt mis en place la marche en seuil que l’Ankou s’y vient asseoir, pour guetter la première personne de la famille qui la franchira. Il n’y a qu’un moyen de l’éloigner : c’est de lui donner en tribut la vie de quelque animal : un œuf suffit, pourvu qu’il ait été couvé. Dans le pays de Quimperlé, on immole un coq et on arrose les fondations avec son sang. »

 

MOYENS D’APPELER LA MORT SUR QUELQU’UN

« Quand on veut appeler la mort sur quelqu’un que l’on hait, il suffit de s’adresser à une personne expérimentée. Elle vous remet un petit sac contenant une mixture où il entre :
1° Quelques grains de sel ;
2° Un peu de terre prise au cimetière ;
3° De la cire vierge ;
4° Une araignée qu’on a soi-même attrapée en un coin de la maison ;
5° De la rognure d’ongles (pour se la procurer, on ronge ses propres ongles avec les dents).
On doit porter ce petit sac, suspendu au cou, pendant neuf jours consécutifs. Ce temps écoulé, on le place dans un endroit où l’on présume que passera l’individu dont on veut la mort. Il importe qu’il soit bien en évidence, qu’il attire l’attention, qu’il tente la curiosité. On le dispose, par exemple, au milieu d’un sentier ou sur l’aire d’une maison. Votre ennemi le ramasse, croyant avoir trouvé une bourse pleine ; il le palpe, l’ouvre. C’est assez. Il mourra dans les douze mois. »

 

LA FIN DU MONDE

« Auprès de l’Ile Grande se trouve une petite île appelée en français l’île Canton, en breton Enez Aganton ou Agaton. On y remarque deux croix de granit, érigées à cent cinquante pas environ l’une de l’autre. La croyance est qu’elles se rapprochent tous les sept ans de la longueur d’un grain de blé : quand elles se rencontreront, ce sera la fin du monde.

Au milieu de la grande plage de Saint-Michel-en-Grève, se dresse une croix monolithe plantée dans le sable et que la mer recouvre à chaque marée. On l’appelle Croaz al Lew-drez (La croix de la Lieue de Grève). Elle s’enfonce tous les cent ans de la longueur d’un grain de froment. Quand elle aura complètement disparu dans le sable, ce sera la fin du monde. »

 

L’ANAON

« Les enfants morts sans baptême errent dans l’air sous la forme d’oiseaux. Ils ont un petit cri plaintif comme un vagissement. On les prend souvent pour des oiseaux ; mais les vieilles gens ne s’y trompent point. Ils attendent ainsi, disséminés dans l’espace, que vienne la fin du monde. Saint Jean le baptiseur leur administrera alors le sacrement qui leur manque : après quoi, ils voleront tout droit au ciel. Les saintes, avant d’entrer au Paradis, peuvent passer par les limbes pour voir leurs enfants, morts sans baptême, les saintes surtout qui ont beaucoup prié pour les âmes abandonnées.

Il en est d’autres, parmi les âmes, qui accomplissent leur pénitence sous la forme d’une vache ou celle d’un taureau, suivant le sexe qu’elles avaient de leur vivant. Les âmes de riches sont parquées dans des champs stériles où ne poussent que des cailloux et quelques herbes maigres. Les âmes de pauvres trouvent à brouter abondamment dans les pâtures opulentes où il ne manque ni trèfle, ni luzerne. Elles ne sont séparées les unes des autres que par un muret en pierres sèches. La vue des pauvres si libéralement traités ajoute encore à l’amertume des riches, de même que la misère de ceux-ci rend plus savoureuse la joie de ceux-là. En vérité, à quoi servirait l’autre monde, s’il n’était pas l’opposé du nôtre ? »

 

La Légende de la mort, Anatole Le Bras, 1902.

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