(photo: melchior ft)
«Laibach ne fait que des interviews par écrit», c’est ce que leur manager de MUTE records me répond quand je lui demande si une rencontre avec le groupe est envisageable à l’occasion du concert à La Machine, Paris, date unique en France, le 8 avril 2012. Le groupe slovène est chasse gardée. Peut-être la clé de sa longévité, eux tournent et sont toujours chez MUTE, contrairement à la Mano Negra qui faisait leur procès lors d’un mémorable coup de gueule chez Dechavanne dans les 80’s. Manier les symboles et l’humour brun a toujours été le cerf de bataille du groupe. Dans le documentaire indispensable de Goran Gajic (Victory Under the Sun), il analyse comment un groupe de musique a su émerger d’un pays sous dictat de l’URSS, et infiltrer la culture occidentale en usant de tactiques totalitaires, faisant trôner la politique comme Art suprême.
Après des débuts fulgurants, le groupe a maintenu son statut d’iconoclaste et s’est parfaitement adapté à l’époque, notre époque, dite de la fin des idéologies. Laissant de côté la rigueur froide et la controverse frontale, ils ont instauré cet art de brouiller les pistes appuyé par un second degré provocateur. Un grand détournement. Tel leur spectacle français où le groupe, toujours martial en apparence, se plaît à militariser des succès de la pop culture (Serge Gainsbourg, Bob Dylan) ou à romantiser La Marseillaise, se jouant de leur public comme de moi dans les réponses qui suivent. Ultimes farceurs à la subtilité surdéveloppée ? Groupe populaire réservé aux intellectuels ? Kapitalistes Konvertis ? Curiosité art moderne exposée dans les galeries ? « Notre seul responsabilité est de rester irresponsable ». Voici Eber et Saliger à l’œuvre.
Qui sont les membres actuels de Laibach ?
En principe, et officiellement, les membres de Laibach sont: Eber, Saliger, Dachauer et Keller. Ce sont quatre pseudonymes que nous utilisons depuis 1982 et qui ne répondent pas forcément à une personne spécifique, chaque membre de Laibach peut donc les utiliser à sa convenance.
Vous vivez toujours en Slovénie ?
Bien sûr, pourquoi n’y vivrions nous plus? La Slovénie est une nation très bien géolocalisée (et parfaite pour les vacances). Nous sommes entourés par les Alpes, les lacs, les châteaux, les vignobles, les grottes et la mer Adriatique. La Méditerranée est à une heure de route, Venise est à deux heures, Vienne à trois, Munich et Budapest à quatre, Trieste, Graz, Zagreb, Sarajevo, Belgrade, Milan, Bologne, Florence…, tout est proche. Et Ljubljana est une ville superbe, agréable à vivre et très inspirante.
Lorsque Timo Vuorensola vous a demandé d’enregistrer la bande-son de son film Iron Sky, vous avez cru à son projet dès le début ?
C’était une décision facile à prendre dès que nous avons vu les premières images du film. Et oui, nous avons fait confiance à Timo dès le départ. Iron Sky est un projet révolutionnaire, particulièrement en termes de financement et de marketing, et c’est probablement la meilleure leçon que le film peut donner au reste du monde.
A t-on déjà utilisé votre musique dans d’autres films ?
Oui, notre musique a été utilisée dans des blockbusters comme Le Projet Blair Witch, Spiderman, la série TV Alias, etc, etc.
En fait, Laibach et Iron Sky sont un peu sur le même créneau, celui de la « sombre comédie ».
Nous nous situons aussi loin d’une « sombre comédie de science-fiction » que d’un « opéra classique wagnérien d’art total ». Mais oui, nous aimons les bonnes comédies grinçantes.
C’est amusant de voir que le film a été distribué par les studios Walt Disney en Finlande.
Amusant ? Pourquoi ? C’est un film éducatif, fait pour les enfants. Il devrait d’ailleurs être distribué par Disney dans le monde entier.
Que feriez-vous si les nazis revenaient pour de vrai ?
Ne vous méprenez pas, les Nazis ne ‘reviennent’ pas – ils sont déjà ici. Ils sont ici depuis tout le temps. Ils sont au pouvoir ou proches du pouvoir, proches des capitaux financiers partout dans le monde. Nous avons retenu leur leçon et ils opèrent avec précaution, sous couverture, mais ils vont finalement atteindre leur but. Ils seront probablement les ultimes gagnants !
Certains groupes industriels des années 80 qui persistent sont souvent décevant en live. Que diriez-vous à un public plus jeune pour leur donner envie de venir vous voir en concert ?
Premièrement, nous leur dirions qu’aujourd’hui, Laibach n’est pas un groupe industriel des années 80, mais bien plus que ça. Nous avons surpassé l’étiquette ‘industriel’ depuis bien longtemps…
Existe t-il encore des zones du monde où votre groupe est banni, à l’image de Death In June ?
Pourquoi Laibach serait banni ? Nous compares-tu à Death In June ? Nous espérons que non. Nous avons déjà été bannis de la République Slovène et de quelques contrées de Yougoslavie au début des années 80, mais cette époque était différente. Nous avons aussi été interdits en France au début des années 90. On ne correspondait pas à l’idée de barbares primitifs d’Europe de l’Est qu’ils se faisaient de nous, condition à laquelle ils étaient prêts à nous accepter dans leur milieu pour satisfaire leur propre divertissement. Mais, autant que je sache, nous ne sommes plus bannis de nulle part, excepté bien sûr de trop de cerveaux sur cette planète.
En parlant de cerveau, considérez-vous toujours la politique comme l’art ultime ?
Nous considérons toujours la Politique (avec un P majuscule) comme l’art ultime de l’impossible. Mais nous avons aussi dit ceci: « La politique est la plus haute forme de culture populaire et nous, qui créons la pop culture européenne contemporaine, nous nous considérons nous-mêmes comme des politiciens ». En d’autres termes, oui, nous créons tous de la politique lorsque nous créons de la culture.
Laibach est donc toujours une mission qui exige du fanatisme ?
Bien sûr, nous ne serions pas en mesure de traiter avec nos fans sans un certain fanatisme, et nous ne serions pas ici aujourd’hui à répondre à ce genre de question.
Pouvez-vous m’en dire plus sur le NSK. Quel est le but de ce groupe ?
Le NSK, c’est à dire l’organisation du Nouvel Art Slovène (Neue Kunst Slowenische), n’existe plus depuis 1992. Il a été remplacé et amélioré par l’État NSK, et malgré le fait de l’avoir constitué nous ne nous immisçons plus dans ses affaires. L’État NSK est désormais autonome et dépend uniquement de ses propres citoyens. Le NSK a été créé autour de Laibach et des manifestes du groupe, lorsque Laibach était interdit en ex-Yougoslavie début 80. L’établissement d’un mouvement et d’une organisation plus importants ont aidé Laibach à rester vivant et à se diffuser tel un virus dans les médias. Son but était de redéfinir la relation entre l’art, la culture populaire, l’idéologie et la politique. Son principe organisationnel de base était le collectivisme, ses méthodes de travail le rétro-principe et le mouvement fut appelé ‘Retroavantguarda’. Entre 1990 et 1992, avec l’émergence d’une réorganisation à la fois politique, idéologique et économique de l’Europe, le NSK a dû se réinventer, abandonnant l’organisation pour le concept d’État. La raison de cette création était de conserver l’Utopie réelle. Le Nouvel Art Slovène comme mouvement organisé a lentement cessé d’exister. L’adhésion exclusive fut abandonné et techniquement parlant, chaque personne pouvant s’identifier au codex NSK put alors bénéficier d’un passeport et acquérir le statut de citoyen du NSK. Le droit à la citoyenneté NSK reste ouvert aux gens du monde entier, quelque soient leurs religions, races, nationalités, sexes et croyances. Les portes sont ouvertes à chacun.
Qu’est ce que l’«art total» selon vous ? Excepté le titre de votre premier disque.
Non, en fait notre premier album ne comportait aucun titre parce que notre nom était banni à l’époque. Nous avions donc décidé de sortir un album sans nom ni titre. Gesamtkunstwerk signifie exactement ce que ça dit: unité, interconnexion, art total du possible. Wagner, Kubrick, Duchamp, Tati et plein d’autres…
Je lisais la section Oracle sur votre site et je me demandais si vous pensiez que l’ironie et la provocation étaient toujours subversives à l’heure actuelle ?
N’importe quelle ironie ou provocation n’est pas forcément subversive, mais celles qui le sont, signifient encore quelque chose, sinon elles ne seraient pas subversives. Un propos est subversif uniquement s’il est provocant.
Laibach est maintenant un nom intégré dans la culture populaire. Votre radicalisme a dû s’estomper durant ces 30 années, non ?
On ne l’a pas perdu à ce que l’on sache. Le radicalisme possède plusieurs formes, et nous en avons choisi une, qui parle le langage de la culture populaire.
Quelle est votre vision de la musique et de l’art d’aujourd’hui ? Manque t-il de «force» ?
Il y a toujours beaucoup de bonne musique et d’art autour de nous, et il y en aura toujours. La force en soi n’est pas la caractéristique ultime d’un art puissant; la subversion l’est. Mais la subversion ne signifie pas forcément l’agression. Il peut aussi s’agir d’une transgression complètement calme. L’art devient puissant quand il cesse d’exister en tant qu’art. La culture populaire peut l’y aider et le conduire vers la bonne direction.
Pour finir, pourquoi refusez-vous de faire des interviews dans la vie réelle ?
Nous préférons penser que parler. Et nous préférons énoncer que socialiser.
LIENS
KOHL IST BROT.
Le 19 octobre 2012, Laibach, pour la première fois dans l’histoire, a joué à 200 mètres sous terre, dans une ancienne mine de charbon entretenue par le musée de Vilenje, Slovénie, qui hébergeait aussi une exposition autour du groupe. Une performance baptisée Kohl ist Brot (Le charbon est le pain).
TRADE IS A SOCIALIST ACT.
Préservatifs, slips, savon, disques et t-shirts.
LAIBACH.
Actualité, réflexion, dictionnaire et reproduction prohibée.
DEVENEZ CITOYEN NSK.
Et faites imprimer votre passeport pour l’utopie.
/// ENGLISH VERSION \\\
Who are the current Laibach members ?
In principle and officially Laibach members are Eber, Saliger, Dachauer and Keller. These are four pseudonyms, which we use from 1982 as signifiers for all and every Laibach member. These names are not fixed to a specific person only; they are flexible and every Laibach member can use them accordingly.
Are you still living in Slovenia ? Why ?
Of course we do, why not? Slovenia is a ‘nation with the best location’, we are surrounded by Alps, lakes, castles, vineyards, underground caves and Adriatic sea. Mediterranean is just an hour away, Venice two hours, Vienna three, Munich and Budapest four, Trieste, Graz, Zagreb, Sarajevo, Belgrade, Milan, Bologna, Florence’…, all is very close. And Ljubljana is a great and inspiring city to live in.
How did you manage to record the soundtrack for the Iron Sky movie ? You trust Timo Vuorensola’s project from the beginning ?
It was an easy decision after we have seen first shoots of the film and yes, we have trusted Timo Vuorensola’s project and direction from the very beginning. Iron Sky is a revolutionary project, especially in terms of crowd marketing and financing and that is probably the best lecture this film can give to the rest of the world.
In fact, Laibach is not far from « dark science-fiction black comedy », is it ?
In fact we are as far from « dark science-fiction black comedy » as we are far from a « classic wagnerian gesamtkunst opera ». But yes, we like good black comedy.
Is there other filmmakers that used your songs ?
Our music was actually already used in blockbuster movies like Blair Witch Project, Spiderman, Alias -TV series, etc., etc. Iron Sky movie is working well, considering very tough battle on the film scene, especially within the sci-fi movie genre.
It’s kinda funny to see the film is distributed by Walt Disney studios in Finland.
Why funny? It’s an educative film, made for kids. Disney should actually distribute it all over the world.
Crucial question: what will you do if nazis were really coming back ?
Don’t be mistaken, Nazis are not ‘coming back’ – they are already here. They are here all the time. They are on power or close to power and close to financial capital all around the world. They ‘we learned their lesson and they operate smoothly and under cover, but they will eventually reach their goal. They are probably the ultimate winners!
Some 80’s industrial bands persist but shouldn’t give live performances anymore. What will you tell to the younger audience to make them want to see you live?
First of all we would tell them that Laibach today is not an 80’s industrial band but much more than that. We’ve surpassed the industrial genre long time ago…
Is there still some areas on the planet where your band is banned, as for Death In June ?
Why would Laibach be forbidden? Are you comparing us to Death in June? We hope not. We were banned by Republic of Slovenia and some parts of Yugoslavia in early 80’, but those were different times. And we were also banned for a while in France in early 90’, because we didn’t correspond with their idea of primitive eastern-European barbarian, which they were ready to accept within their amidst for their own entertainment. But as far as we know we are not banned anywhere anymore, except of course from too many brains on this planet.
Do you still consider politics as the ultimate art ?
We still consider politics (with a capital P) as the ultimate art of impossible. But we also said that Politics is the highest form of popular culture and we, who create the contemporary European pop culture, consider ourselves politicians. In other words – yes, we all create politics while we create culture.
So, is Laibach still a mission that demands fanatism ?
Laibach is still a mission that demands fanaticism; otherwise we wouldn’t be here today and reply to such questions.
Can you speak me a bit of the NSK. Is it still existing ? What is the purpose of the group ?
The movement Neue Slowenische Kunst no longer exists since 1992. It has evolved into NSK state. But NSK state today is a project on its own and we do not interfere in it. We helped to constitute it and than we let it go its own way. NSK state is now responsible for itself and it solely depends on its own citizens.
NSK State was created in 1992, out of the art movement Neue Slowenische Kunst (1984-92’), which was built around Laibach and Laibach’s manifestos, when Laibach was officially forbidden in ex Yugoslavia in the early 80′. The establishment of bigger movement and organization helped Laibach to stay alive and to spread its virus into the various media. Its aim was to redefine the relation between art, popular culture, ideology and politics. Its basic organizational principle was collectivism, its method of work was retro-principle and the movement was called Retroavantguarda. Between 1990 and 1992, with the emergency of new political, ideological and economic reorganization of Europe (the fall of the Berlin wall and the reunification of Germany, the decline of the Eastern bloc, war in Yugoslavia and the birth of new national entities), NSK reinvented itself, changing from an organization into a State. The reason to create an NSK State was to keep Utopia real. Neue Slowenische Kunst as an organised movement slowly ceased to exist, NSK exclusive membership was abolished and technically speaking everybody, who can identify with NSK State codex, could now become an NSK passport holder and acquire the status of NSK citizen. Beside the members of NSK groups the right to citizenship is open to people all over the world, people of different religions, races, nationalities, sexes and beliefs. Doors are opened for anyone.
What « total » art evokes for you ? Except the title of your first album.
Our first album is not titled ‘Gesamtkunstwerk’. In fact our first album had no title at all, because our name was then forbidden. So we decided to release album without a name and a title. Gesamtkunstwerk to us evokes exactly what it says: united, interconnected, total art of possible. Wagner, Kubrick, Duchamp, Tati and many others…
I was reading the Oracle section of your website. Do you think irony and provocation are still subversive in our era ? Is subversion still mean something ?
Not every irony and provocation is subversive, but the one that is, still carries a provocative meaning, otherwise it would not be subversive. A meaning is only subversive if it is provocative.
Laibach is now an approved name within popular culture. Did you lose this radicalism which characterized your band during the 80’s ?
Not that we would be aware off. Radicalism has different forms, and we have chosen a form, which speaks the language of popular culture.
What do you think about art and music today? A lack of « force » ?
There is still a lot of good music and art around and it will always be. Strongness in itself is not the ultimate characteristic of a powerful art; subversion is. But subversion does not necessarily means aggression. It can also act as a quiet transgression. Art is becoming strongest when it ceased to exist as art. Popular culture can help it there and lead it into the right direction.
To finish, why do you refuse to make spoken interviews ?
We prefer to think than talk. And we prefer to verbalize than socialize.
Bonjour,
Merci pour cette interview. C’est toujours un plaisir de savourer les fulgurances, phrases à double sens et l’humour pince sans rire du groupe.
Je me permets cependant d’attirer votre attention sur une erreur dans votre préambule (ce n’est pas un reproche, on ne peut pas être bon en tout) : la Yougoslavie n’a jamais été « sous diktat de l’URSS » : Tito qui a libéré son pays avec les Partisans sans intervention directe de l’Armée Rouge, a vite compris que l’indépendance face à Moscou valait mieux que la tutelle. Il a rompu avec Staline en 1948 à travers ce que les Yougoslaves appellent le « Non historique » (« istorijsko Ne » en serbo-croate). Lire ici pour les détails :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Rupture_Tito-Staline
Cela explique aussi que les Yougoslaves aient eu plus de liberté par rapport à la RDA, l’URSS, ou la Roumanie, et que malgré la censure et les pressions du pouvoir, un underground très créatif ait pu s’y développer, dont Laibach fait partie : le rock n’était pas interdit en Yougoslavie, alors que dans les autres pays de l’est, il était au mieux vaguement toléré.
Pour compléter cette ITW, vous pouvez lire une tentative de décryptage « yougo-orientée » de Laibach que je proposais en 2011 dans mon blog : http://yougosonic.blogspot.fr/2011/05/in-laibach-we-trust.html
Je pense que ça vous intéressera et intéressera vos lecteurs…
Sinon, je découvre votre site via cette ITW, et les pages que j’ai parcourues indiquent qu’il y souffle un vent frais et revigorant dans le paysage actuel très consensuel du « écrire sur la musique »…Vous pourrez me compter parmi vos lecteurs à l’avenir.
Bonne continuation
YS
je suis content de voir que vous etes vous aussi anti halouf et pro truand de la galere vive la racaille vive morsay 2017
Morsay France http://www.morsay.net