Le système Belmondo

« L’affiche de cinéma, par sa taille, joue le rôle d’une image choc. Véritable carte visite du film, elle en exprime le thème central avec une grande force répétitive. Elle offre un support de choix pour l’exaltation des stars. Le « système Belmondo » l’utilise à fond : René Chateau investit 80 % du budget professionnel du Marginal dans 15 000 affiches tous circuits confondus. Aux exploitants, il fait même distribuer une mallette publicitaire avec gamme de produits (tirelires, crayons, briquets…) à l’effigie de Belmondo.

Il est facile de repérer le développement de la « mythologie belmondienne » ou d’autres stars à travers ces affiches omniprésentes. Elles composent des variations autour d’une icône familière. L’effet de série est frappant : toujours en haut et en très gros caractères, le nom de l’acteur. Rien d’autre, car la marque se suffit à elle-même, tout le monde sait de quoi on parle. En dessous, une photo ou plus souvent un dessin, très réaliste, cadre ce héros, en pied (ou plus rarement en gros plan). La mention « BELMONDO » associée à cette image constitue la marque de fabrique, le logo de l’acteur. Le vrai titre, en bas de l’affiche, n’est qu’une déclinaison du concept, qu’il s’épuise à définir sans jamais y parvenir tout à fait : « Voyou », « Incorrigible », « Magnifique », « Professionnel », « Marginal », etc. Sans rapport avec l’intrigue, le titre est ce que les publicitaires appellent la « promesse produit » : on nous promet que Belmondo sera fidèle au caractère établi.

Au centre de l’affiche, l’acteur se présente toujours de face, dans une pose « officielle ». Il n’est pas saisi en pleine action. Il s’adresse à son public sans intermédiaire. Quelques attributs suffisent à faire connaître le contexte : l’arme est toujours présente pour les films d’action, braquée en gros plan devant son visage (L’Alpagueur), dans son holster (Peur sur la ville) ou plus virilement à la ceinture d’un jean (Le Professionnel, Le Marginal). Si le ton est parodique, une casquette et un cigare viendront le signaler, en même temps qu’un air gouailleur (Flic ou voyou). Sur le plan de la « statuaire », il semble qu’avec les années, le modèle se rigidifie : la pose et le cadrage sont les mêmes pour les deux derniers films, la tenue est plus décontractée, la musculature de l’acteur apparaît sous un T-shirt moulant. Tout se passe comme s’il était besoin de souligner par avance la forme conservée du personnage, son potentiel d’action intact. Il est vrai que les héros ne vieillissent pas… »

(…)

« Jean-Paul Belmondo a les moyens d’arrêter un film en cours d’écriture, s’il ne lui semble pas susceptible de tenir ses promesses, ou s’il peut être préjudiciable à son image. C’est ainsi qu’au tournant des années 1980 avortent les projets « Mesrine » de Philippe Labro, « Barracuda » d’Yves Boisset ou encore « La Mare aux diams » de Claude Pinoteau. Il s’agit désormais d’une influence directe sur le contenu des films. Coscénariste de plusieurs d’entre eux avec Michel Audiard, Jean Herman (alias Jean Vautrin) analyse leur fabrication avec une grande lucidité :

« Fabriquer un Belmondo, c’est fabriquer un produit, c’est un style de scénario tout à fait particulier qui s’appuie principalement sur des recettes. Le cas Belmondo est tout à fait exemplaire en France car le public est allé au devant du produit et le produit est allé au devant du public. En ce moment [1985], ils sont en train de se croiser et de ne plus se reconnaître mais il y a quand même eu une courbe ascendante des deux côtés. Belmondo, c’est l’acteur de la Nouvelle Vague par essence, mais qui s’est mis à se simplifier, à se populariser et qui a été tellement mythifié qu’il ne peut plus retrouver ses racines et s’appuie maintenant sur un acquis qui a été plébiscité. C’est un produit qui s’est mis à rapporter tout à coup énormément d’argent. On s’est alors trouvé face à un Belmondo qui aime indubitablement le cinéma mais qui est devenu producteur – donc lié au phénomène financier que représentent ses films – et qui a pris de moins en moins de risques. On savait au départ que Michel Audiard et Jean Herman allaient travailler sur un film de Jean-Paul Belmondo. On savait qu’il y aurait en fin de chaîne un réalisateur, un metteur en scène efficace, au sens américain du terme, qui vous fabriquerait un Lautner. Pour le scénario, on partait sur une idée de base mais en cours de route d’autres personnages intervenaient – René Chateau, Lebovici – qui étaient garants d’une constitution Belmondienne et qui intervenaient à chaque étape du scénario. On finissait par partir du schéma d’une cascade pour déterminer une séquence. C’est mettre Rémy Julienne avant les bœufs, si j’ose dire : le scénariste se trouve complètement acculé. Je me suis mis à faire de la tachycardie et j’ai dû abandonner. Ça me rendait malheureux et j’ai dû prendre des pilules pendant deux ans. Je n’ai plus du tout envie de faire ça. A l’époque de Flic ou voyou, c’était encore viable, puis ça s’est dégradé : tout le monde entraîne tout le monde et la complaisance s’installe sur un air de pognon. Il n’y a plus qu’une chute dans les recettes qui puisse remettre les choses en question. » »

Mythologies politiques du cinéma français, Yannick Dehée, 2000.

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