From Rhône-Alpes to Traplanta

Co-fondateur du magazine Gasface qui a régné en riant sur la décennie 2000, co-réalisateur et co-scénariste pour Arte (New-York Minute, Helltrain) ou Dailymotion (Lookin4Galt), Mathieu Rochet a signé son premier projet solo en 2019, Lost in Traplanta, une plongée à la fois real et drôle au cœur de la nouvelle capitale du rap. Il y a quelques semaines, on s’est posé ensemble pour passer sa vie en revue (et surtout caler sa tête dans le Red Bulletin), de ses débuts vandales à Lyon à son pèlerinage à Atlanta en passant par Londres, New-York, la Suisse, les scandales, Madlib et David Ginola.


THE BRONX, 69

Ma mère était secrétaire, mon père a été professeur de marketing, journaliste automobile, pilote de rallye, et entrepreneur multi-faillitte : beaucoup de bonnes idées, qui ont toutes failli marcher. Là, il devrait être à la retraite, mais il essaye encore de devenir riche ! Ado, mon grand frère écoutait surtout du reggae, des trucs anglais, UB40, Level 42. Mes parents, c’était la catastrophe. A la maison y’avait dix CD dont six de Jean Jacques Goldmann… mais au moins ils préféraient Eddy Mitchell à Johnny ! J’ai d’abord habité à Écully, deuxième commune la plus riche de France, ensuite dans une grande barre à Tassin, et puis à Lyon, quartier de La Croix-rousse.

LE RAP

J’tombe dedans à 11 ans, en 1990. Mon frère avait une cassette de Run DMC, Raising Hell, il savait pas trop ce que c’était et m’avait sorti : « c’est la musique du Prince de Bel Air » ! J’trouvais ça génial. J’écoutais beaucoup de hard rock à l’époque mais j’avais honte, ça avait grave la patate mais Axl Rose et tous ces types me foutaient le malaise. Quand j’ai découvert le rap, je me suis dit « ça, c’est ma musique ». Un pote avait un grand frère qui avait la K7 It Takes A Nation Of Millions de Public Enemy, j’ai halluciné. J’ai fait semblant d’aller aux toilettes et j’ai volé la K7 dans la chambre de son frère – premier vol d’une longue série. Je faisais du graffiti avec un copain, sur les voies ferrées, etc… J’ai même tagué mon club de basket, et je m’en suis évidemment fait viré. Cette période, c’était beaucoup de basket, dont le rap était la bande-son.

PREMIÈRES FOIS

Premier volet de la Rumeur, Les Flammes du mal de Passi, les X-Men : mon premier rappeur préféré de tous les temps, c’est Ill, période Time Bomb. Pas fan d’IAM, mais j’adorais NTM, surtout l’album de 93. J’avais une heure de trajet pour aller au collège et je mettais « Police » vingt fois de suite ! Première K7 ? Yo! Bum Rush the Show de PE puis celles d’Ice-T et LL Cool J. Premier vinyle ? « Therapy » de Heltah Skeltah. Premier concert ? Warren G au Transbordeur à Lyon. J’avais pris un coup de boule d’un vieux rebeu de 35 ans, comme Samy Naceri dans Raï, coup de boule derrière la tête ! J’voulais éviter de me bagarrer avec une bande de Vénissieux, ils étaient trop nombreux, alors quand le mec m’a gueulé « qu’est-ce tu fais ??? » J’ai répondu : « Moi ? Rien, je prends juste un coup d’tête ! »

UN FAUTEUIL POUR DEUX

Quand j’avais 13-14 ans, une famille de Chicago a emménagé près de chez moi. Le père était stup’ là-bas et il venait d’être muté à Interpol à Lyon. Le fils s’appelait Kymon, on s’est connu au basket et du coup, j’ai appris l’anglais « parlé » avec lui. Il hallucinait que j’écoute Naughty By Nature – il trouvait ça nul, pour les bébés ! – et m’a branché sur Blackmoon, Wu-Tang et Tribe Called Quest, dont je n’avais jamais entendu parlé. Chez lui, il y avait des tableaux avec des portraits de Malcolm X et de Martin Luther King. Je connaissais un peu par Public Enemy, mais ça m’a fait tout drôle d’entrer dans la réalité d’une famille américaine. D’ailleurs le père – un mec très dur – était un peu dégoûté quand il a vu son fils copiner avec un Blanc… Après, il a vu que je lui apprenais le français et inversement, qu’on faisait que du sport et pas des trucs débiles, et on était cool. Enfin cool : le père jouait au basket hardcore, il te mettait les coudes, même si t’étais un enfant !

LYON

Quand tu vivais à Lyon dans les 90’s, y’avait beaucoup de déperdition, tu récupérais les copies de copies de copies… J’allais chez mon cousin qui avait MTV, et avant ça j’avais jamais vu de clips de rap de ma vie, j’étais choqué ! Par rapport à des Parisiens, ma culture était pleine de trous… A 14 ans, j’étais à fond sur la West Coast, 2Pac, etc… Y’avait un magasin dans Lyon qui vendait The Source et j’avais trouvé des numéros d’occase de Get Busy chez des bouquinistes, avant la réédition. J’ai eu un numéro de Get Busy pendant de longues années, je l’ai chéri ! Sear était libre, il avait tout compris, il s’amusait avec cette culture. Je ne lisais pas trop L’Affiche ou Radikal, j’aimais pas trop ces mags trop sérieux. Y’avait un manque, et dès qu’on a eu l’opportunité, on a fait ce qu’on avait envie de lire.

LONDRES

1995 : époque de Mobb Deep et Heltah Skeltah, j’achète à fond de vinyles puis des platines. J’avais une platine à courroie super nulle pour essayer de faire des scratchs mais un pote avait acheté du matos pour compléter et on mixait non-stop. C’était l’époque bénie du turntablism avec DJ Scratch, Roc Raida, les X-Ecutioners. Vers l’âge de 19 ans, j’ai habité 4-5 mois à Londres et là-bas j’ai vu plein de concerts : Kool Keith, Slum Village, The Roots, Supernatural, Jurassic 5, et surtout DJ Cash Money et DJ Noize qui m’ont vraiment botté le cul ! Je voulais devenir champion DMC après ça ! Y avait beaucoup de rappeurs londoniens qui vendaient leur son dans la rue, beaucoup de reggae aussi, c’était effervescent. J’avais déjà des platines depuis 3 ans, mais j’ai eu un gros déclic à Londres. Après ce séjour, j’ai fait une année blanche à la fac, je mixais 12 heurs par jour !

LA RADIO

Un pote mixait dans une émission sur Radio Canut, j’y croyais pas, j’étais jaloux en fait alors que c’est moi qui lui avais appris à mixer ! Le mec est parti en stage et je l’ai remplacé, un mois, c’est là que j’ai rencontré Nico avec qui on a imaginé un projet de fanzine. Personne ne parlait anglais, le fanzine devait s’appeler Fragements of Hip-Hop. Ma première interview aurait dû être une itw de Cannibal Ox, mais j’étais trop intimidé, je voyais ça comme un métier, où il fallait être carré, donc j’ai dit non… Un mois plus tard, toujours en 2001, les mecs me disent que Madlib va jouer à Paris, pour un concert organisé par Hip-Hop Ressistance (l’asso de DJ Fab et Awear). Ils m’avaient calé un créneau et le plan s’est transformé en une galère pas possible (par ma faute), une nuit à dormir dehors, sans portable. Toute ma vie, je me rappellerai de ce moment où Madlib est passé devant moi avec ses sacs au Batofar, et j’ai laissé passé ma chance, comme une merde. J’ai passé la nuit dehors. Le lendemain, j’ai rassemblé tout mon courage pour aller le rencontrer chez Chronowax, j’avais 1000 questions et c’est devenu une vocation. « Si tu veux faire ce métier Mathieu, c’est maintenant, sinon tu seras nul toute ma vie ».

SAN FRANCISCO

Vers 2001, je suis allé à San Francisco et j’avais ramené des interviews de mecs de là-bas. C’était la capitale mondiale du scratch à l’époque, avec Q-Bert et les autres, tous les mecs étaient DJ. J’avais rencontré un mec chez un disquaire, il me ramène chez lui. Y’avait 6 platines dans leur salon ! Le truc se transforme en teuf, plein de monde se ramène, un mec sort une basse, un autre un saxo, c’est comme la scène dans Heat, quand tout le monde est hyper cool ! Je vais pour m’asseoir, et le mec hurle « non non non ! Y’a mon serpent » ! Et là je vois un python énorme, jaune fluo, tranquille sur son fauteuil… Un peu plus tard, je veux aller pisser et dans le couloir, je vois le serpent étendu dans toute sa longueur… Je marchais en écartant les jambes, le pipi le plus flippant de ma vie !

LA SUISSE

Premier concert là-bas ? Cut Killer et DJ Abdel, c’est plus les DJ qui m’intéressaient à cette époque. On était tournés vers la Suisse parce que tous les rappeurs ricains y passaient. On faisait 10 heures de route pour aller à Zurich. Au début on bougeait à 8, sans GPS, on cherchait l’hôtel des rappeurs après les concerts… Pour l’itw de Pete Rock & CL Smooth, on était plus que 4, et finalement on s’est retrouvé à deux, Nico et moi. On était allés jusqu’en Allemagne aussi, pour voir Mobb Deep, un record de roulage. C’était une passion très demandeuse, les managers nous envoyaient tout le temps chier. On avait des bobards pas croyables, on sortait le nom de famille du rappeur, on les regardait composer le numéro de la chambre comme des détectives dans des romans de Chandler, et on disait « Bobby nous a dit que c’était bon pour l’itw » – on a réussit comme ça à avoir Group Home, Grand Agent, Declaime de Stones Throw, on se retrouvait parfois à 8 dans une chambre d’hôtel pour une interview ! Les mecs auraient préféré avoir des meufs ! C’était la débrouille, fallait être malin.

GASFACE

A l’époque, l’ambiance c’était un truc d’expert : « le rap est sérieux ». On a alors profité d’une période de vacances pour reprendre l’émission de radio en faisant n’imp, c’était la radio libre ! Quand les mecs sont rentrés, on a fait le point et on a préparé une maquette d’émission pour aller sur Couleurs 3 (une radio suisse). Y’avait que nous deux qui avions bossé, empilé les K7 d’itws, etc… On a donc arrêté la radio au moment où on a créé le fanzine. Les autres mecs étaient un peu vénères parce qu’on est partis tous les deux, y’a eu une scission. Nico aimait bien la chanson « The Gas Face » de 3rd Bass, on aimait Prince Paul, le hip hop qui se prenait pas au sérieux… Et vu que tous les mags s’appelaient Real, Authentik ou Radikal, on voulait aller à l’opposé de ça, on voulait s’amuser sérieusement, c’était ça la différence. Le premier Gasface est sorti fin 2001, début 2002. J’avais interviewé Peanut Butter Wolf juste après Madlib, et je m’étais bien régalé. Ce qui me saoulait à l’époque, c’est que les mecs posaient souvent des questions dont ils connaissaient déjà les réponses. Ils creusaient jamais. C’est pas très modeste de dir eça, mais entre le n°1 et le n°2, je trouvais déjà que nos interviews étaient bien meilleures que celles des autres ! On arrivait avec un coté Nardwuar, on roulait pendant 5 heures, et une heure avant d’arriver, on commençait à se taire, et on se demandait : « Qu’est-ce qu’on pose comme première question ? » Parce que c’est celle qui va déterminer l’itw, si le mec va te prendre au sérieux ou pas. Avec Alchemist, on lui avait demandé d’entrée : « Il paraît qu’on te surnommait Lil Puba parce que t’étais comme Grand Puba mais en petit » – et ça a pris direct ! « Attends, comment vous savez ça les gars ?! » On voulait montrer qu’on savait de quoi on parlait, on était là pour une vraie rencontre, pas juste pour faire un papier.

NEW-YORK

Mic Geronimo était carrément passé à notre hôtel, pour le mag de 2005. On marchait dans la rue, on reconnaissait les mecs, on croisait Stretch Armstrong, en costard et en scooter, un vrai Parisien ! Ou encore Futura 2000 dans un magasin de photos. A l’époque, c’était les vrais comptes des mecs sur MySpace, j’avais contacté Buckwild et il nous avait invité dans son studio, il avait un hangar dédié à la prod, avec ses 400 paires de baskets, ses milliers de vinyles… Incroyable. Avec K-Def, rien à voir, on s’était posé dans un McDo tout pourri, il nous avait fait une mixtape en une prise, sans casque.

L’AMBITION

On était encore étudiants, moi à Sciences-Po, j’alternais livreur de pizza et plongeur; Nico en fac d’histoire et pion dans un bahut. On a fait 3 fanzines, en augmentant la qualité du papier, la maquette, la distribution, en faisantt tout nous-mêmes. Au final, ça nous coûtait plus cher de se déplacer pour les distribuer que de récupérer les 20 balles par exemplaire. On a ensuite commencé à organiser des concerts à Lyon : DJ Babu des Dilated Peoples à la Marquise en 2004 reste un de mes meilleurs souvenirs. On les avait vu à Zurich avant en mode soundsystem, c’était le feu. Je me souviens que les gens avaient une dalle de ouf. Y’avait eu un orage de malade et les gens faisaient la queue, ça sentait le chien mouillé dans la sale mais c’était super ! On a aussi fait Sadat X, O.C., Jeru The Damaja, DJ Revolution, etc. De cette façon, on pouvait faire nos itws sans problème, et on a pu mettre des sous de coté pour faire un vrai mag. SARL au capital de 10 000€, impression en Espagne, acheminement à Paris, NMPP, distrib’ toute la France, et tout le tintouin ! Au sommaire du premier n° de la nouvelle formule : George Clinton, Isaac Hayes, Heltah Skeltah, Pete Rock, George Pellecanos… toujours des real itws, notre point fort, pas de téléphone. Plus le temps passait d’ailleurs, et plus les intros étaient longues, on racontait vraiment, puis c’était pas que du rap, on voulait faire Les Inrocks du hip-hop ! On faisait tout à deux, régie pub, textes, photos, avec un pote graphiste, Julien Lenoël, qui bossait pour nous gratos. On n’a jamais connu l’âge d’or de la presse donc on ne pouvait pas le regretter !

LE SCANDALE

Puis y’a eu « les enculés de blancs », on a été les inventeurs du racisme anti-blanc avec la couv de notre dernier numéro en 2008. C’était beaucoup de buzz, on n’a jamais eu autant de presse. Libé et Les Inrocks nous soutenaient, le Gasface a été au Conseil des ministres pour voir s’ils pouvaient l’interdire, comme le Charlie Hebdo de 1969. Évidemment, ils ont vu que c’était une blague, mais les sites d’extrême-droite faisaient circuler nos numéros pour nous péter la gueule. Je recevais des mails de ouf, et des menaces, c’était marrant… Par contre, on n’avait aucune garantie que les kiosquiers n’allaient pas continuer à nous boycotter sur le numéro d’après. L’ambition était toujours de faire un meilleur mag que le précédent. Et Nico pensait qu’on allait soit se maintenir, soit décliner. J’ai mis un peu de temps à réaliser – il a compris avant moi que c’était fini. Et dans ce contexte, on ne pouvait pas raisonnablement continuer.

LA TÉLÉ

Au même moment, Silvain Gire, cofondateur d’Arte Radio, avait kiffé le mag et nous a donné l’opportunité de faire un web doc, c’était le début des « séries digitales ». Et c’est comme ça qu’on a fait New York Minute. On nous a filé les clés d’un camion à 200 000 balles et on a tourné ça en mode nouvelle vague, sans aucune supervision. Comme c’était le début d’un truc, on avait les mêmes chances que les autres. On a connu sans le savoir la phase déclinante de la presse et la phase ascendante des nouveaux médias. La série a été la plus vue à l’internationale dans l’histoire d’Arte, on a ensuite fait la version télé en 2011, 52 minutes, et on a touché nos premières royalties de télé, un truc comme 40 euros ! On était confiants dans nos histoires, aller chercher les ex-enfants soldats du Sierra Leone recrutés par des gangs à Staten Island; retrouver G-Dep, signé puis roulé par Puff Daddy; raconter l’histoire de Joell Ortiz et son producteur, etc… Techniquement, on ne savait rien faire, mais on avait plein d’idées ! On avait aussi rencardé le chef-op Edwar Al Roberts, un gros footballeur du New Jersey, un mec qui avait fait tous les clips de Prodigy, de 50 Cent aussi, et le mec avait accepté, donc on savait qu’on allait avoir un pur résultat. On connaissait déjà bien NY, on avait pas mal de contacts, j’étais allé plus souvent à NY qu’à Paris ! On créchait en dessous d’Harlem, un quartier très résidentiel. C’était l’époque des émeutes en 2005, et les USA aimaient bien humilier la France. Ils montaient ça en épingle sur les chaînes d’infos, en montrant le pays en feu et en répétant : « voilà où mène le socialisme ! »

LE DOCU

On a ensuite bossé avec Dailymotion pour Lookin 4 Galt. On était partis pour faire un docu sur le Grime et les années Tony Blair, puis on a rencontré Bernard Purdie qui faisait un concert à Lyon. Et à ce concert, il y avait la fille de Galt MacDermot – ça faisait des années qu’on rêvait de rencontrer ce type : un fils de diplomate blanc canadien, qui avait autant de funk, avant même que la funk existe ! Et sa fille nous dit « Bah venez, il est là, à NY » ! On a donc mis en scène notre recherche, alors qu’on savait très bien où il était, c’est le premier qu’on avait interviewé ! C’était une expérience géniale, on a tourné ça a deux, en mode commando, c’était hyper formateur. J’me rappelle d’un jour en particulier, quand on « cherchait » Galt dans un immeuble de haut standing new-yorkais. On sonne à une chambre, et là, c’est D’Angelo qui ouvre ! Et lui, pour le coup, il se planquait vraiment ! Il avait eu plein de soucis et vivait en ermite – moment incroyable. On a ensuite fait Helltrain, une adaptation de l’enfer de Dante dans le gangsta rap new-yorkais, pour moi notre meilleur truc. Et puis ça a été la fin du duo Gasface. Nico est parti faire un docu sur le basketteur Hervé Dubuisson, et moi, j’avais plus de projet.

OUTKAST

Je cherchais un angle pour faire un truc sur Atlanta, et je suis tombé sur ce sketch de Key & Peele où ils sont déguisés en Outkast. Et on comprend bien que Big Boi en peut plus d’Andre 3000… « Pourquoi ton haleine sent la graine d’oiseau ? Qu’est ce qui passe ? Est-ce qu’on peut zapper le 3000 et garder juste Andre ? » Tu captes qu’ils vont jamais se reformer ! Pourtant, chaque année je tombais dans le panneau du poisson d’avril qui disait l’inverse. Peut-être parce que ma seule expérience avec Outkast se résume à cette fois où je m’étais fait passer pour un mec des Inrocks, pour les voir, en 2003. Y’avait un grand concert sur l’ile du Gaou, près de Toulon, avec 2ManyDJs, Dizzee Rascal et Outkast, organisé par une marque d’Ice Tea, avec plein d’alcool gratos en backstage. J’étais en pleine rupture amoureuse, et je suis tombé dans une spirale, un trou noir, et c’est la seule fois ou j’ai rencontré Outkast. C’était l’époque où on donnait des faux noms de magazines pour faire des itws. Le lendemain, déçu, je dis au pote qui était avec moi que j’aurais trop aimé leur parler et il me répond : « Tu tenais pas debout, mais tu leur as parlé, y’a un gros mec qui voulait te taper d’ailleurs… » Ce gros mec c’était leur manager, Killer Mike.

ATLANTA

Il me fallait un prétexte narratif pour tourner là-bas. D’un côté tu as Outkast, qui a révélé le rap d’Atlanta, qui ne connaissait à l’époque que des succès régionaux, et puis de l’autre, tu as le fait que cette ville est aujourd’hui la nouvelle capitale du rap. Comprendre la trap, c’était comprendre Atlanta. Le récit fait le pont entre les deux, le moteur de l’histoire fait découvrir la trap, et le héros succombe au truc là-bas. La contrainte d’Arte c’était de faire 10 épisodes en 5 minutes, c’était très rapide. On a tourné le pilote en février et la série en novembre, en deux semaines. Les gens me racontaient que le rap d’Atlanta était très musical, je m’étais dit qu’il fallait commencer par se rendre à l’université Morris Brown – les premières facs noires du pays sont à Atlanta – et choper des mecs de la fanfare, des zicos… L’idée était de trouver des trucs qui avaient l’air hasardeux (des « coups de bol » pour Larry, le « héros ») et je voulais surtout éviter l’écueil du docu The Art of Organized Noize ou des docus de rap en général. C’est souvent tourné en intérieur, dans des endroits pas très parlants, avec des mecs de studio qui te parlent, mais où rien n’est branché… Et quand tu ne sais pas doser les récits d’anciens combattants, beaucoup de rancœur se dégage à la fin – et j’en ai marre aussi des trucs qui commencent dans le Bronx, avec Kool Herc, ça suffit !

KODY KIM

Larry, mon protagoniste, c’est Kody Kim, il ne vient pas d’Aubervilliers mais de Belgique – c’est venu d’une impro où on répétait des scènes, en voiture, je faisais des fiches avec des questions, on faisait en sorte qu’il fallait qu’il se passe tout le temps un truc, avec des vannes, c’était assez écrit, et Kody avait une bonne capacité à improviser. Bon, j’ai mis un an à le trouver. Au début, je ne voulais pas faire de casting, je me disais « c’est les cons qui font ça ! » J’allais dans des trucs de stand up, je voulais un mec qui était marrant physiquement aussi, quelqu’un qui savait bien parler anglais, qui savait écouter les autres aussi. La grosse difficulté, c’était d’arrêter d’être marrant quand tu aavaits un interlocuteur, fallait un bon intervieweur, et c’était pas gagné. Et puis j’ai découvert Kody dans l’émission Le Grand Cactus, qui est très connue là-bas, c’est un peu le Nulle Part Ailleurs belge. Je l’ai vu imiter JCVD, Depardieu, Karl Lagerfeld, avec un aplomb incroyable. Je ne savais pas que c’était une star en Belgique, et j’ai fini par aller à Bruxelles sur mes deniers pour le voir. J’avais casté de bons comédiens pourtant, j’ai même vu Monsieur Fraize, c’était ouf ! On a fait une fausse scène d’interview avec lui. On a testé l’itw qui se passe mal pour voir ce que le mec avait dans le vendre, et on a tellement rigolé, j’arrivais même plus à le filmer… Puis à un moment, je me suis dit qu’on allait se faire tuer si on y allait avec lui ! Du coup, j’ai opté pour Kody. Je voulais un Noir francophone, et surtout pas qu’il y ait un décalage où l’on voit un Blanc qui arrive dans un environnement où tout le monde est Noir. Ça aurait été complètement contre-productif.

LA TRAP

La trap, c’est le rap du rap, c’est la pire et la meilleure des musiques ! Et je ne veux plus passer mon temps à montrer aux gens que tout n’est pas nul, c’est pas un boulot ça ! Cela dit, quand le truc a commencé, je n’aimais pas du tout Young Jeezy, Lil Scrappy, je trouvais ça lent, mou, mais j’aimais bien « Never Scared » de Bone Crusher (qu’on voit dans la série), et T.I. aussi, sans en faire des folies. Aujourd’hui ça a presque remplacé le rap. Les autres continuent à faire des trucs, mais avec de moins en moins d’audience. Que j’aime ou pas n’est pas le problème, mais ça a phagocyté le truc. C’est comme quand tout le monde copiait Mobb Deep, c’est pas si nouveau. La trap de Mexico ou de Paris m’intéresse pas des masses, mais celle d’Atlanta m’intéresse beaucoup, c’est comme ce que dit la mère de Waka Flocka – Debra Antney – c’est l’âme de la ville. Je suis même tombé sur Guizmo qui est allé enregistrer un album là-bas, j’ai trouvé ça balèze comme mouv’. A$AP Rocky vient de NY pour avoir ce son là. Quand tu parles à des DJ’s, c’est très compliqué de passer de ATCQ à la Trap, tu ne peux pas revenir en arrière. En termes de sonorités, tu ne peux pas faire mieux, c’est la fin du chemin – le kick de la 808, le son très bas, les patterns de triplette… C’est marrant, finalement, ce qui fait que le rap d’Atlanta marque très bien, c’est ce qui a fait que le rap a très bien marché dès le début et a plu a beaucoup de gens (« Planet Rock » d’Afrika Bambaataa par exemple) et c’est pratiquement la forme la plus pure de rap. Pour les puristes ça va paraître bizarre, mais j’ai l’impression que je suis arrivé assez vite à cette conclusion.

LA TRAP, COUILLON !

Ça devient comme le reggae, quand t’as un seul riddim, pour émerger faut juste être meilleur que les autres. Encore une fois je trouve ça plutôt cool. J’ai adoré être à Atlanta. Quand tu rentres dans le détail, ce que fait Mike Will Made It n’a rien à voir avec ce que font 808 Mafia ou Childish Major – qui a produit le hit « UEINO » de Future & Rick Ross. Par contre, quand j’écoute les trucs qu’écoutent mes neveux, ça me casse vite la tête. Je ne veux pas dire que tout est nul, mais il y a toujours ce moment un peu gênant aux réunions de famille où l’on se fait écouter les trucs qu’on aime bien. Et le plus petit écoute des trucs abusés, vulgaire pour être vulgaire, alors que tu vois bien que le mec n’a jamais rien fait de mal, de sale, mais il se casse la tête dans sa piaule à trouver des phases, tout ce que tu peux faire à un vagin, avec de l’argent, combien de pistolets tu peux avoir dans combien de poches … J’ai l’impression qu’à un moment, le rap était devenu très pop, et par la force des choses, il est revenu à l’essentiel : c’est du NWA avec un son différent. C’est comme ce que faisait Eazy E au départ, y’a aucune différence thématique. J’aime bien Josman en revanche, c’est un des rares MC’s français qui arrive à s’approprier la trap, sans imiter les mecs qu’il écoute, c’est un vrai artiste.

MAGIC CITY

On faisait souvent nos pauses relax à Magic City, un strip club très connu de la ville (qu’on voit dans l’épisode 6). Là-bas, t’es pas obligé de mater les meufs, tu peux manger, regarder le basket à la télé, et c’est là que la trap prend tout son sens en fait. Quand t’entends le bon morceau sur ce soundsystem, c’est trop bien, tu voudrais être nulle part ailleurs. C’est pas très grand comme club, t’as la clim’ à fond, il fait 12° toute la journée, toutes les meufs sont déjà à poil à faire les trois 8, des mecs paient super cher pour faire un showcase ou passer un morceau, et ils balancent du fric à gogo parce que sinon t’as l’air d’un radin et tu dégages. Vu que c’est le monde à l’envers, le lundi est la plus grosse nuit de la semaine, les gens savent qu’il y aura plein de monde du milieu du rap donc ils sont tous là. Et c’est pas forcément une histoire d’argent, ce qui a fait couler NY à l’époque avec les histoires de payola…. Tu filais de l’argent à Funkmaster Flex et même les morceaux nuls étaient diffusés, ce qu’Atlanta ne fait pas je crois. Un mec comme DJ Nando a été un peu le précurseur de tout ça. Le mec prenait de l’argent, il écoutait le morceau, et s’il n’aimait pas, il rendait l’argent et ne le jouait pas. Bon, finalement il s’est fait tuer, c’est peut-être pas le bon exemple ! Il y a aussi DJ Buu, DJ Esco, le meilleur pote de Future – c ‘est grâce à lui que Future a décollé, parce que les filles aimaient bien son truc, il avait une bonne vibe et un bon look aussi, ça ne s’invente pas. Les morceaux que tout le monde écoutaient quand on y était ? Lil Baby & Gunna, Sheck Wes, « Ratchet » de Scotty ATL, produit par Tasha Katour, qui vient de East Point comme Outkast. Ce qui est cool à Atlanta, c’est qu’il y a plein de meufs qui rappent et qui font de la prod, une chose que j’ai rarement vu à NY.

ATL OF FAME

Je passais la journée avec Mike Will Made It, et Big Bank Black – le boss de Duct Tape records – jouait aux échecs avec un autre vieux O.G. – l’oncle de Waka Flocka, garde du coprs et manager de Nicki Minaj. Les gars me demandent qui j’aimerais bien voir en ville ? Et je leur réponds que j’aurais bien aimé avoir T.I. pour la fin de la série. Et là, il me sort « bah tiens, regarde qui m’appelle ? » Et c’était T.I. Ils discutent et tout, le type me connaît depuis 5 minutes et je l’entends parler au téléphone : « Je suis avec Matt, c’est mon pote, il vient d’Europe, c’est le meilleur, il fait une série pour une grosse chaîne… » ! Malheureusement ,T..I. tournait un film hollywoodien en Afrique du Sud et rentrait le jour où je partais, donc j’ai pas pu l’avoir. De son côté, Mike Will Made It venait de finir la bande-son de Creed II. On l’a testé dans son studio et j’ai jamais écouté un truc aussi fort de ma vie ! J’avais limite mal aux dents ! Toutes les prods sonnaient mieux que tous les albums de tous les mecs réunis sur le disque ! Après, évidemment, c’est biaisé en studio, parce que le son est toujours meilleur que dans une Twingo.

J’IRAI DORMIR CHEZ TOOMP

En terme d’écriture, j’avais des choix à faire : avoir un producteur, un batteur, tel type de mec… Je ne pouvais pas me permettre d’avoir tout le monde. Sur ma liste il y avait DJ Toomp, Shawty Redd, et Mike Will Made It, mais le problème c’est que Mike ne parle pas très bien devant une caméra, il mumble, vu qu’il en produit toute la journée ! Je suis donc parti vers DJ Toomp qui était le numéro 1 de ma liste. Le hasard a fait qu’on se croise deux fois dans la même journée avant de le filmer. Ce qui est bien, c’est qu’il était déjà là dans les 80’s – il était producteur junior pour 2 Live Crew – et qu’il est toujours là aujourd’hui. Aucun mec à part Dre a cette longévité. Il a su se réinventer tout en créant « le son trap ». L’album Trap Muzik de T.I. dont il a été DA a donné son nom a cette musique. Le mec passe ses journées à mater des clips de T.I. pour se motiver, il adore ça. On a fait un jeu avec lui, il avait des tonnes de prods, il nous les faisait écouter et on devait deviner à qui il allait les envoyer. « Ça, c’est pour Jay-Z ! » « Banco ! Je lui ai envoyé cet aprem »… Et ainsi de suite avec Gucci Mane, T.I., Migos, Rick Ross… On s’est bien marré. Les mecs d’Atlanta sont hyper hospitaliers, quand tu les interviewes, deux heures après t’y es encore ! Ils te parlent de tout et n’importe quoi, ils t’invitent à bouffer chez eux… Rien à voir avec NY, où les mecs ont toujours des trucs à faire ou alors ne t’invitent jamais chez eux parce qu’ils veulent que tu crois qu’ils sont riches ! A Atltanta, ils sont plus prospères, à l’aise, ils n’ont rien à cacher.

LES SÉRIES

Quand j’ai écrit Lost In Traplanta, Atlanta de Donald Glover n’était pas encore sorti – j’ai adoré la première saison avec sa narration éclatée, c’était super drôle et intéressant. La saison 2 par contre, ils se regardaient un peu en train de faire, c’était pas super, le mec avait changé de stature entre temps donc c’est devenu autre chose. En général, je suis passionné de sitcom. J’en écris d’ailleurs une sur un rappeur hasbeen qui se fait virer de son label alors qu’il est en vacances. Quand il rentre, tout le monde est choqué. Il se retrouve placardisé à l’étage des community managers. Il est nommé manager et, comme il est un peu con, il s’imagine qu’il va être un nouveau Jay-Z, et transformer ces petits jeunes en des rappeurs d’élite alors que ce sont juste des millenials insupportables. C’est un format sitcom, 10 x 26 minutes. Je suis super fan des trucs comme 30 Rock, Brooklyn 99 ou en plus vieux, Taxi ou Cheers. C’est pas du cinéma mais c’est de la comédie tellement bien écrite et profonde pour de la sitcom. Ça reste des références pour moi. Martin de Martin Lawrence aussi, même si ça repose sur un acteur qui peut tout faire. J’ai aussi d’autres projets de séries, qui en sont encore au stade du développement. Pour Arte, je ferais bien une suite à Los Angeles sur le gangsta rap avec Larry, ou en Jamaïque pour le reggae.

LE CINÉ

J’ai toujours voulu faire de la fiction. Et puis j’ai pas envie d’attendre des rappeurs pendant 2 heures quand j’aurais 50 ans, merde ! J’exagère mais il faut passer à autre chose à un moment. Traplanta est très fiction pour un doc, et à côté de ça j’ai écrit mon premier film : Jacques Martien, l’homme le plus dangereux du monde. Ça se passe à Lyon, c’est l’histoire d’un prof d’auto école qui est accusé d’avoir tué un Prix Nobel : il a l’air louche, il a un sens de l’honnêteté discutable mais c’est pas lui… Il doit donc retrouver qui l’a tué pour éviter la Première Guerre Mondiale. C’est un peu « Le Grand blond avec la mort aux trousses ». D’autres projets de long métrages devraient se mettre à la queuleuleu, du moins j’espère.

GINOLA

J’avais écrit un film sur David Ginola… Un producteur m’avait demandé d’écrire un film sur le sport et j’étais super choqué quand tout le monde avait dit que Ginola avait fait perdre la France contre la Bulgarie, lors des qualifs de la Coupe du monde en 1993. C’est l’équipe dans son ensemble qui avait flanché ! Il avait joué la gagne au lieu de jouer le match nul et il est devenu le Français le plus détesté, le bleu maudit. Son histoire était géniale. J’ai acheté tous les bouquins sur lui, je me suis passionné pour son histoire et finalement ça n’a rien donné. Au moment de sa crise cardiaque, tout le monde a changé de discours : « Oh ça va, il est sympa en fait ». Tant mieux pour lui, il a été réévalué, mais du coup, mon film n’avait plus lieu d’être. J’aurais bien aimé faire un truc comme les docus ESPN. Aux États-Unis ils font beaucoup de docus sur le sport qui racontent la société, alors qu’en France on ne le fait pas du tout, c’est super compliqué.

LA FRANCE

J’aime beaucoup Pierre Salvadori, depuis longtemps. J’aime bien Quentin Dupieux aussi, même si je reste souvent sur ma faim. J’aimerais faire du Shane Black à la française, un peu comédie, un peu action, un peu policier, avec des personnages qui ont de vrais problèmes… Rire mais aussi raconter des choses. Comme dans Sorry to Bother You de Boots Riley : le mec vient d’ailleurs, il a des idées, et ne se prend pas au sérieux J’ai envie de faire des films que j’ai envie de voir, comme Gasface à l’époque qui était le magazine qu’on avait envie de lire. J’allais d’ailleurs oublier Un Prophète en survet, qui va sortir en 2020. Soit l’unification de la France via le prophète du basket de rue Moustapha Sonko. C’est un portrait de la France des 90’s, par le prisme du basket et ça se termine aux J.O de Sydney, où Sonko et l’équipe de France « gagnent » à la Rocky, en perdant la finale face aux USA. Épique.

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