Tous avec Gégauff !

« Interrogé par Radio Luxembourg sur les « évènements », Gégauff déclare: « Je suis pour l’ordre. »

Ça surprend, il s’explique:
« Je les trouve tous tellement infantiles ces exaltés. Tout va tourner en eau de boudin. J’ai le plus grand mépris pour les mouvements qui avortent et, comme je suis un peu un anarchiste de luxe, je n’aime pas beaucoup que les autres le soient. De même, je supporte très mal de voir mes vices chez autrui. Le désordre à bon marché m’ennuie et voir des esprits anarchistes s’embrigader et endosser l’uniforme comme le font ces garçons me paraît assez paradoxal et navrant. »

Le 30 mai, Gégauff se mêle à la manifestation organisée, sur les Champs-Elysées, par les partisans du général de Gaulle. Il buvait quelques verres dans un bistrot en lisant la nécrologie de Chardonne. Il a vu la foule s’amasser, a rejoint le cortège. Bras dessus bras dessous avec les épiciers et les anciens combattants, les petits artisans et les flics, il se bidonne. Passant devant des immeubles rénovés par Malraux, il cible le ministre de la Culture: « C’est le plus clair de son œuvre. » Il invente des slogans: « La cuisine avec nous! », « La cuisine est française! ». Les cuistots désertent leurs restaurants, discutent gastronomie avec lui. Gégauff les éblouit, lance formules et théories: « La cuisine, c’est le seul art qui ne mente pas. On peut se gourer sur la peinture, sur la musique mais sur la bouffe, pas d’histoire, c’est bon ou c’est mauvais. » […]

Gégauff prend également le pouls des craintes. Une époque s’achève: la « chienlit » succède à un « quarteron de généraux en retraite ». Les Russes seraient aux portes de Paris, les Chinois aussi. De Gaulle va bientôt s’exiler en Irlande, passer la main à Pompidou. Les bourgeois à la mode Servan-Schreiber sont en train de prendre le pouvoir, Le Défi Américain dans leur baise-en-ville. Des bobos et des babas à la poigne de fer qui ne valent pas mieux que les vieux et vieilles du défilé. C’est la décadence générale comme un torrent de merde.

Avant l’effondrement, Gégauff saisit au vol toutes les mythologies des dérèglements du temps, qu’il recrache dans une poignée de films, pour Chabrol et pour d’autres. »

Paul Gégauff – Une âme damnée, Arnaud Le Guern, 2012. (Editions PG De Roux)

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