De la bière dans l’intelligence !

« Ce que pourrait être l’esprit allemand, qui n’a pas déjà fait là-dessus des réflexions profondément douloureuses ! Mais ce peuple s’est abêti à plaisir depuis près de mille ans : nulle part on n’a abusé avec plus de dépravation des deux grands narcotiques européens, l’alcool et le christianisme. Récemment, il s’en est même encore ajouté un troisième, qui suffirait, à lui seul, pour consommer la ruine de toute subtile et hardie mobilité de l’esprit ; je veux parler de la musique, de notre musique allemande bourbeuse et embourbée. — Combien y a-t-il de lourdeur chagrine, de paralysie, d’humidité, de robes de chambre, combien y a-t-il de bière dans l’intelligence allemande ! Comment est-il possible que des jeunes gens qui vouent leur existence aux buts les plus spirituels ne sentent pas en eux le premier instinct de la spiritualité, l’instinct de conservation de l’esprit — et qu’ils boivent de la bière ?… L’alcoolisme de la jeunesse savante n’est peut-être pas encore une énigme par rapport à leur savoir — même sans esprit on peut être un grand savant —, mais, à tout autre égard, il demeure un problème. Où ne la trouverait-on pas, cette douce dégénérescence que produit la bière dans l’esprit ? »

Crépuscule des idoles, Friedrich Nietzsche, 1888.
Légende: Ben Hillman, Liquid Television, 1994.

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