« …pas de discours culturel. Pas de ministère, pas de commissions, pas de subventions, pas de promotion. Le trémolo culturel qui est celui de la France entière, ce fétichisme du patrimoine – rien ici de cette invocation sentimentale, et qui plus est aujourd’hui: étatique et protectionniste. Beaubourg est impossible ici, de même qu’en Italie (pour d’autres raisons). Non seulement la centralisation, mais l’idée d’une culture cultivée n’existe pas, pas plus que celle d’une religion théologale et sacrée. Pas de culture de la culture, pas de religion de la religion. Il faudrait parler plutôt de culture « anthropologique », qui consiste dans l’invention des mœurs et du mode de vie. Celle-là seule est intéressante, comme seules les rues de New York le sont, et non les musées. Même dans la danse, le cinéma, le roman, la fiction, l’architecture, ce qui est spécifiquement américain a quelque chose de sauvage, qui n’a pas connu le lustré et le phrasé, le rhétorique et le théâtral de nos cultures bourgeoises, qui n’a pas été pomponné aux couleurs de la distinction culturelle.
La culture n’est pas ici cette délicieuse panacée que l’on consomme chez nous dans un espace mental sacramentel, et qui a droit à sa rubrique spéciale dans les journaux et les esprits. La culture, c’est l’espace, c’est la vitesse, c’est le cinéma, c’est la technologie. Celle-ci est authentique, si on peut dire cela de quoi que ce soit. Non pas le cinéma en plus, la vitesse en plus, la technique en plus (on sent partout chez nous cette modernité surajoutée, hétérogène, anachronique). En Amérique, le cinéma est vrai, parce que c’est tout l’espace, tout le mode de vie qui sont cinématographiques. Cette coupure, cette abstraction que nous déplorons n’existe pas: la vie est cinéma. »
Amérique, Jean Baudrillard, 1986.
Légende: Idiocracy, Mike Judge, 2006.
DERNIERS COMMENTAIRES