LA NUIT A DÉVORÉ LE MONDE (2018)

FRANCE2016. Tout commence dans une fête d’appartement haussmanien comme on en voit fréquemment dans le cinéma français. Des mecs mal rasés s’échauffent, des filles dansent, vomissent, la fête bat son plein, il y a au moins 100 personnes dans cet appart putain, et puis un ex passe plomber l’ambiance pour récupérer ses affaires. Cet ex, c’est Anders Danielsen Lie, le rabat-joie de Oslo 31 août. Le Norvégien est toujours en cure de désintoxication de quelque chose, ici, c’est de Sigrid Bouaziz. Venu pour récupérer un carton de cassettes (ben tiens), il s’enferme dans un bureau à l’écart de la foule pour respirer, un brun agoraphobe notre Drieu 3.0. Puis s’endort. Lorsqu’il se réveille, stupeur, Emmanuel Macron est président de Franconie et la population entière de Paris est réduite en une horde de zombies-chômeurs qui se battent pour récupérer leurs droits. La fête de la veille n’est plus qu’un bain de sang et l’immeuble entier a été vidé, enfin presque. Le nouveau Vélib et l’avenir des voies-sur-berge ont eu raison de la ville, devenue invivable. Comme tout bon film apocalyptique, la survie s’organise méticuleusement, et on y prend volontiers part. Qui n’a jamais rêvé de pénétrer dans tous ces 120m2 de la Rive Gauche ? Là, en plus d’y pénétrer, Sam les pille et prend tout ce qui peut lui servir. Lorsqu’il atterrit dans cette chambre d’ado, la nostalgie le fait dérailler. Il branche le walkman et un morceau d’Heb Frueman (Oui, Heb Frueman !) lui explose les tympans. Un peu plus tard, ce sera le groupe G.L.O.S.S. qu’il rejouera à la batterie dans la chambre graffée des mots « Punk spirit », « Revolution » ou encore « Thrashit ». Ça va, c’est une image plutôt honnête de la rébellion dans le 6ème arrondissement. Sam a besoin de se détendre mais la double pédale attire les zombies donc il est obligé d’arrêter et de dépenser son énergie à travers des footings inter-appartements, ce n’est pas la place qui manque. Même après l’apocalypse, Paris reste Paris.

Malgré une bonne tenue et une belle image, les trois dérapades du film interviennent, fatalement. Sam, qu’on devinait musicien, acclimaté à la solitude, commence à faire de la musique avec des bouts de verre et des toupies. Tel un Jacques post-apo, dernier humain doué de création, condamné à pratiquer son art dans le secret alors que les zombies du monde extérieur ne comprennent rien à sa musique, veulent le tuer et casser son matériel. Heureusement, c’est court. Deuxième dérapade, Sam a élu domicile dans l’appart d’un ancien médecin, Alfred, contaminé lui aussi, et coincé dans la cage d’ascenseur. Le zombie grabataire est tenu par Denis Lavant dans un rôle de décomposition. La star qui manquait cruellement au prequel du film, La Mort qui vit. Sam et Alfred vont nouer une relation amicale à base de confessions et de pensées sur l’état des choses : « C’est toi qui es normal, la normalité c’est d’être mort, moi je ne suis pas normal. » Il y a très peu de dialogues durant 1h34, rassurez-vous. Jusqu’à la troisième dérapade : l’arrivée en fanfare de la belle Golshifteh Farahani, complètement En Marche! qui somme Sam de ne pas s’enterrer dans son immeuble bourgeois, d’entreprendre s’il veut survivre et que immobilisme = mort. Sauf que tout ça n’était qu’une illusion, puisque son inclinaison à l’autodéfense a eu raison d’elle avant qu’ils ne puissent communiquer. Tout ça fait réfléchir Sam qui finit par brûler ses cassettes (de toute façon personne ne pourra acheter son album), libérer Alfred (condamné à lire du Céline pour l’éternité) et à faire le grand saut, parce que les zombies ont enfin trouvé la poignée de la porte de l’immeuble. Le plan final s’arrête sur la banlieue au loin, nouvel espoir, nouvel horizon. Et si tout ça n’était finalement qu’une allégorie du Grand-Paris ?

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