« L’accroissement continuel des difficultés de la subsistance matérielle a beau avertir les plus épais du détraquement de la mécanique sociale, et la rage visible des entrepreneurs d’anarchie a beau gronder autour d’eux de plus en plus fort; ils ont des docteurs pour leur enseigner que tout cela n’est qu’une crise passagère, effet d’une excessive tension des ressorts, et qu’aussitôt après la victoire dont ils répondent, hommes et choses reprendront leur équilibre. Si ce n’est pas précisément l’âge d’or qu’ils promettent, ce sera peut être l’âge d’argent ou, au pis aller, «l’âge du papier» qui paraît avoir commencé déjà.
Les intellectuels au front d’airain font sans doute une plus large part au malheur des temps et vont même jusqu’à regarder comme improbable une restitution immédiate du bonheur parfait, mais les uns et les autres ont foi en l’Humanité qui doit accomplir tous les miracles.
Comment ne serais-je pas seul, n’ayant que du mépris pour cette humanité supplantatrice de son Créateur et considérant comme des impostures ineptes du Démon tous les lieux communs de progrès, de civilisation, de politique et surtout de démocratie qui ont remplacé depuis si longtemps la confiance en Dieu?
Comment pourrais-je supporter le contact des catholiques eux-mêmes, des catholiques modernes qui croient possible de conjoindre le cadavre du passé avec la charogne du temps présent et qui rêvent je ne sais quelle restauration de la vieille bâtisse royale où une niche à chien de garde serait offerte à Notre Seigneur Jésus-Christ ?… La sottise de ces prédestinés au massacre me paraît encore plus impie que l’idiote fureur des pires sectaires. »
Méditations d’un solitaire, Léon Bloy, 1916/2010. (La Part Commune)
Légende: Les refroidis, Henri Gustave Jossot, 1904.
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