Quand les Bleus étaient verts

« Dimanche 4 juin 1978. Vent de panique à l’Hindu Club. Car, affaire suivante, l’affaire des chaussures. Révélée dans la foulée de la défaite contre l’Italie à Mar del Plata, elle est le centre du monde. D’abord, baissons les yeux sur ces chaussures que nous ne saurions voir. Et puis relevons-les pour avancer deux ou trois choses que nous savons d’elles. Pour participation des Bleus à la Coupe du monde a été prévu le versement d’une prime individuelle de 5 000 francs (800 euros, 270 euros le match…) de la part d’Adidas, leur équipementier. Selon Henri Patrelle, le montant en a été négocié au stage du Touquet, avec le représentant de la « marque aux trois bandes », lui-même voyageant dans les bagages de la délégation officielle depuis plus d’une dizaine d’années : François Remetter, ancien gardien de but tricolore, un « héros » de Suède (1958).

Aussi Patrelle s’étonne t-il de la relance de dernière minute, effectuée la veille de France-Italie, par les représentants des joueurs, Guillou et Bathenay, auprès du voyageur aux trois bandes. Relance que lui rapporte Marius Trésor, lequel se désolidarise du mouvement, de même qu’Henri Michel, confie t-il à Monsieur l’Intendant. Telle est la « vérité » que nous vend ce dernier sur le moment. En fait, quarante ans plus tard,Michel Platini se fait un devoir de me préciser que le « mouvement » a démarré bien avant le Touquet, qu’il a été « collégial » et que l’on ne s’est pas pris la tête plus que cela avec lui.

Le mot d’ordre circule bien le matin du match : « On ne peindra pas les trois bandes en blanc » (les joueurs avaient l’habitude de passer les bandes au vernis blanc afin qu’elles ressortent mieux – NDLR). Les bandes blanches seront même passées au cirage. « Merde à Adidas ! », donc. Michel Hidalgo n’est averti de la situation qu’une heure avant le match. Aucun des membres du staff des Bleus n’a vu venir le début du commencement d’un chahut à 5 000 francs et trois queues de cerise. Mais la défaite contre l’Italie, le flottement de l’encadrement, la surenchère de la confrérie, l’effet amplificateur de la distance : voilà, vu de France, le chahut devenu révolte. La révolte des enfants gâtés.

Ce dimanche-là, on oublie le jeu, la Coupe du monde, le match du lendemain soir contre l’Argentine. Seul Hidalgo en parle. Pauvre Hidalgo. Combien il en veut à ceux qui ont oublié de le prévenir, des « lâches ! ». A moins de 5 millions d’euros, t’as plus rien maintenant. A 5 000 francs pièce, t’avais un bon scandale à l’Hindu Club de l’équipe de France, autrefois. »

« Samedi 10 juin. Mar del Plata. Au menu du jour steak, légumes, compote à 10 heures, France-Hongrie à 15 heures. Mais voilà que l’heure tourne, 15h05, 15h15, 15h30. Que l’arbitre, le Brésilien Coelho, ne donne-t-il le coup d’envoi ? L’arbitre est dans l’expectative, cependant moins que la France n’est dans la mouise. Une lecture trop rapide de L’Officiel du Mondial a conduit l’intendance française à emporter un jeu de maillots blancs – le même que la Hongrie-, plutôt que le jeu de maillots bleus, shorts bleus, bas rouges prescrit par le règlement. Fait unique dans l’histoire de la Coupe du monde : l’arbitre menace une équipe de forfait, et c’est l’équipe de France. Si ce n’était un match « pour du beurre », si la Hongrie ne se montrait pas bonne joueuse, on en arriverait peut-être à pareille extrémité. Mais sous la dictature de l’imprévoyance et de l’Argentine réunies, il n’est pas exclu qu’une bonne étoile veille. Elle a l’apparence, paraît-il, d’un policier. Finalement, la maréchaussée locale est dépêchée pour aller quérir les maillots d’un club de deuxième division local. Nom : FC Kimberley. Couleurs : bandes verticales blanches et vertes. C’est dans cet équipage que la France fait joujou avec la Hongrie et, à défaut de la palme de l’intendance, remporte le César de la plus longue distance entre deux victoires en Coupe du monde, la dernière remontant à France-Allemagne du 28 juin 1958. »

Gérard Ernault dans Schnock #27, juin 2018.

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