« Tenez, rouvrons les Fleurs du Mal. Voici l’Homme et la Mer. Rassurez-vous, je me bornerai à en lire le premier vers : Homme libre, toujours tu chériras la mer. Affirmation péremptoire et gratuite. Un homme libre peut très bien détester la mer. Voyons maintenant les Chats. Le sonnet commence ainsi : Les amoureux fervents et les savants austères – Aiment également en leur mûre saison — Les chats puissants et doux… Je vous le demande, pourquoi les amoureux et les savants aimeraient-ils nécessairement les chats et pourquoi en leur mûre saison ?
Moi, ça me fout en colère quand je pense que tout ce qui se pique en France d’être cultivé, vénère de semblables imbécillités. Que voulez-vous que les gens, et en particulier les jeunes, retirent de la lecture de Baudelaire ? Ils y apprendront à penser faux, et les plus avisés à penser que la vérité n’a pas d’importance, comptant seule la manière dont est tournée une phrase ou un vers. C’est ce qui n’a pas manqué de se produire. Et dire que sans ce misérable, le romantisme français serait probablement mort de n’avoir plus rien à dire. Mais Baudelaire lui a pris le pire : ses ténèbres, ses hiboux, ses pierres tombales, ses corbillards, ses gouges et ses diableries. De tout cela, il a fait un concentré, un jus noir ne contenant rien de plus que ce qu’il y a mis et qui est pourtant notre nourriture d’aujourd’hui. Le romantisme… »
Le confort intellectuel, Marcel Aymé, 1949.
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