Les Gens de la pluie

Qui est Coppola en 1968, l’année où est tourné The Rain People ? C’est déjà un cerveau qui déborde. En 1962, poursuivant un cursus cinéma à l’UCLA, il en profite pour réaliser des petits films d’horreur et un western softcore inititulé L’Ouest sauvage et nu. Sacré nom. Il devient ensuite l’assistant du célèbre Roger Corman qui lui demande d’abord de recouper des films étrangers pour les USA, avant de le laisser diriger son premier long-métrage d’horreur, le culte Dementia 13. Coppola va ensuite se débrouiller pour s’installer durablement dans la profession, via notamment un job fixe de scénariste pour le puissant Sevent Arts. Quelques scripts, un teen movie et une comédie musicale ratée plus tard, Francis n’a pas encore 30 ans et est déjà vacciné de son expérience avec les gros studios. C’est dans ces circonstances que se tourne le premier film 100% Coppola (écrit, réalisé et produit par) : The Rain People, dont son ami George Lucas tirera le documentaire Filmmaker.

Typique du Nouvel Hollywood, The Rain People tire à la fois son influence de Bonnie & Clyde d’Arthur Penn (que Coppola dédicace dans le film lors d’une scène de drive-in vide) et du style intimiste de John Cassavettes. Natalie – Shirley Clarke, divorcée et enceinte à l’époque du tournage, joue justement une jeune mariée, déboussolée par la découverte de sa grossesse. Afin de « réfléchir », elle fuit son mari (qu’elle tient quand même au courant au gré des cabines téléphoniques de son parcours), sa famille et Long Island à bord d’un station wagon Ford, en direction du grand ailleurs – soit l’Ouest américain. Si seulement elle avait su… La morale du film intervient déjà à mi-chemin : fuir les problèmes ne les résoud pas, surtout quand ils s’empilent les uns sur les autres. Sur sa route, Natalie prend un type surnommé « Killer » en stop, impensable aujourd’hui. Killer, joué par James Caan, se révèle en fait simplet. Ancien joueur de football, un choc violent l’a fait redevenir enfant. L’amour maternel de Natalie va l’empêcher dans un premier temps de se débarrasser de lui, mais la situation va se compliquer au fil des villes traversées – le film a été tourné dans 18 états, majoritairement en Virginie Occidentale et au Nebraska. Killer est clairement ingérable, et il faudra un « sale flic » dont le rôle revient logiquement à Robert Duvall pour mettre une halte au délire.

Sans but, Natalie trace la route pour rencontrer de nouvelles personnes et tester son amour, sa fidélité, elle-même, et le résultat n’est pas bien brillant. La liberté avant la sécurité ? Ou l’inverse ? Le débat reste ouvert. Ayant renoncé à se donner à Killer, dont la justesse d’esprit la gêne, elle n’hésitera pas avec Gordon, le policier à moto. Seulement, les problèmes du flic – qui vit dans un trailer avec sa fille – se révèleront bien plus lourds que les siens. Et le tragique, tapi dans un coin, n’aura besoin que d’un petit signe de la main avant de faire une irruption. Caan et Duvall s’étaient déjà partagé l’affiche de Countdown de Robert Altman deux ans plus tôt. Ils se retrouvent ici dans un duel final dont on taiera l’issue. Malgré des tics évidents de cinéaste arty (gros plan flou sur pull de dos), on prend plaisir à découvrir la vraie Amérique via les travellings automobiles de Coppola, celle où une parade peut surgir au coin de la rue, où les escrocs gèrent des zoos artisanaux et où les policiers invitent les « criminelles » à déjeuner. Et on méditera sur la phrase-titre, prononcée par le rêveur James Caan, derrière un pare-brise trempé : « The rain people are people made of rain. And when they cry they disappear all together because they cry themselves away. »

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