Lettre à l’artiche

« Un jour, on m’a réveillé à huit heures du matin. Un type m’a annoncé au bout du fil que j’allais tourner deux jours dans un court-métrage de Roger Leenhardt, Le Beatnick et le Minet. Il a ajouté que je toucherais cinq cents francs par jour. Cinq cents balles par jour en 1965! J’ai compris d’un trait ce qu’était l’argent. Ce fut une révélation. Sans doute parce que c’était de l’argent honnête. Avant, quand j’avais besoin de blé, je faisais du trafic avec les Américains à Châteauroux. Whisky, cigarettes, ce n’était pas un problème. A l’occasion, je volais un petit peu, pour me faire plaisir. D’ailleurs, sur un film, s’il m’arrive de repérer une jolie poignée de porte, je ne peux pas résister. C’est une façon de laisser une marque, son empreinte. J’aime aussi beaucoup les cendriers dans les grands hôtels. Cela me rend euphorique ces fric-frac. Parfois, je suis un peu ennuyé, parce qu’il m’arrive de me « servir » chez mes meilleurs amis! Demain soir, je dîne à l’Élysée…

En sortant de la banque, j’ai compris que l’argent c’était avoir deux cents millions de débit, bientôt le double avec les impôts, et de dire: « On se calme. On va s’arranger. On attend. » L’argent, c’est quand on vous autorise à en manquer.

Avec Les Compères, Tenue de Soirée, Les Fugitifs, l’argent m’est tombé dessus, cela n’arrêtait plus tout ce liquide, c’était comme des fuites d’eau. En analyse, l’argent, c’est de la merde. Alors, j’étais sacrément emmerdé, mon pote! L’argent, chez moi, il est devenu complètement abstrait. C’est un truc auquel il faut s’habituer très vite avant qu’il ne vous mange la tête. Cela peut devenir une maladie, s’insinuer en vous, et un jour, on se réveille, on est radin. On compte. Il faut prendre sa mesure. Quand on doit payer cinq cents millions d’impôts par an, on est mis en situation, en demeure, de faire de l’argent.

Pourtant, je ne serai jamais un vrai riche. Les vrais riches, les riches de profession, ne pensent qu’à l’argent. Un sou est un sou. Oui, l’argent, ce sont des gens qui ne pensent qu’à ça. « L’incroyable dispendiosité des pauvres. » a écrit Balzac. Eh bien, moi, j’ai cette sauvagerie des pauvres avec l’argent. La seule fortune que je suis sûr de posséder, c’est mon goût et mon plaisir. Je n’ai pas d’impôts sur mon plaisir. Je le prends. J’ai toujours mangé mon pain, bu mon vin avec la même sensation dans la bouche, dans mon palais. Toutes ces séries noires, Mélodie en sous-sol, Touchez pas au grisbi, tous ces mecs qui creusent des tunnels dans les égouts, tout ça c’est démodé, ce sont des mythologies complètement dépassées qui ne font plus godiller personne. »

Lettre à l’argent, Gérard Depardieu, So Film #20, 2014.
Légende: Welcome to New-York, Abel Ferrara, 2014.

Comments are closed.