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Berlin a jamais fait rire


« cette ville a déjà bien souffert… que de trous, et de chaussées soulevées ! (…) il paraît à Hiroshima c’est beaucoup plus propre, net, tondu… le ménage des bombardements est une science aussi, elle n’était pas encore au point… (…) ce qu’était assez curieux c’est que sur chaque trottoir, tous les décombres, poutres, tuiles, cheminées, étaient amoncelés, impeccables, pas en tas n’importe comment, chaque maison avait ses débris devant sa porte, à la hauteur d’un, deux étages… et des débris numérotés !… que demain la guerre aille finir, subit… il leur faudrait pas huit jours pour remettre tout en place… Hiroshima ils ne pourraient plus, le progrès a ses mauvais côtés… là Berlin, huit jours, ils remettaient tout debout ! (…) là vous voyez un peuple s’il a l’ordre inné… (…) Paris aurait été détruit vous voyez un peu les équipes à la reconstruction !… ce qu’elles feraient des briques, poutres, gouttières !… peut-être deux, trois barricades ?… encore !… là ce triste Berlin, je voyais dabs, daronnes, dans mes prix, et même plus vioques, dans les soixante-dix, quatre-vingts… et même des aveugles… absolument au boulot… (…) pas de laisser-aller !… pluie, soleil, ou neige Berlin a jamais fait rire, personne ! un ciel que rien peut égayer, jamais… déjà à partir de Nancy, vous avez plus rien à attendre… que de plus en plus d’ennuis, sérieux, énormes labeurs, transes de tristesse, guerres de sept ans… mille ans… toujours !… regardez leurs visages !… même leurs eaux !… leur Spree… ce Styx des teutons… comme il passe, inexorable, lent… si limoneux, noir… que rien que le regarder il couperait la chique, l’envie de rire, à plusieurs peuples… on le regardait du parapet, nous là, Lili, moi, Bébert… »

Louis-Ferdinand Céline, Nord, 1960.

Pauv’ tâche

« Ces titres, ces signes monétaires, expriment toute l’armature sociale de la vie d’Antoine Bloyé : à sa mort, des fiches déposées au service des pensions de la Compagnie, rue de Londres, tiendront lieu des mémoires que les hommes de son espèce n’écrivent pas : toute la substance de la vie est cachée sous ces lignes – toutes les réunions avec d’autres hommes, toute la solitude, tous les moments d’enthousiasme, de dépression, tout l’orgueil, toute l’humiliation, le travail, le loisir, la fatigue, la déception, les rencontres avec la mort, et ce qu’Antoine nomme, docilement, comme ses semblables, le Devoir, le devoir de faire son métier, le devoir d’être fidèle à sa femme, le devoir d’élever son fils, le devoir de faire marcher dans leur sillon les ouvriers, le devoir d’être du côté des maîtres, le devoir d’achever « sa tâche » avant de mourir… Mais quelle tâche ? »

Antoine Bloyé, Paul Nizan, 1933.
Légende : Il Posto, Ermanno Olmi, 1961.

Presque tous les hommes se posent cette question

« Le couple forme un seul être tourné vers le dehors : les gens mariés disent : « Nous ne faisons plus qu’un… » et ils confondent avec l’amour leur unité d’intérêts, de recettes, de dépenses, d’économies, de jugements, de phrases toutes faites… On cède si promptement à l’habitude de cette fausse unité, on se dit si vite qu’on est comme les deux doigts de la main, qu’on a l’illusion de bien se connaître. Mais les deux doigts de la main ne sont pas si intimes, ni si simples… Les gens qu’on connaît disent : « Quel petit ménage uni! » Uni, parce qu’on fait les comptes ensemble ! Les parents s’attendrissent : « Comme ils s’aiment! » Et les époux s’embrassent : il faut bien faire plaisir aux familles… LIRE LA SUITE

Un monde sans joie

« Tous les mouvements concertés de l’industrie et des fleuves, des voies ferrées et des grandes lignes maritimes achevaient d’arracher Antoine au sillon terrien où il avait germé, et d’où il avait été ébranlé avant l’âge. Il se sentait pauvre, il connaissait de bonne heure cette ambition douloureuse des fils d’ouvriers qui voient s’entrouvrir devant eux les portes d’une nouvelle vie. Comment se refuseraient-ils à abandonner le monde sans joie où leurs pères n’ont pas eu leur content de respiration, de nourriture, le content de leur loisir, de leurs amours, de leur sécurité ? Le malheur c’est qu’ils oublieront ce monde promptement et se feront les ennemis de leurs pères. Antoine n’imaginait plus à quinze ans que son avenir pût se dérouler ailleurs que dans les régions où résonnent les plaques de tôle, où l’on rive, où l’on frappe, où les sirènes à vapeur mettent le ciel en lambeaux, et où grandissent les hauts squelettes des chantiers. Il s’y voyait naïvement sous la figure d’un chef. L’indifférence, la passivité paysannes qu’il avait d’abord absorbées par tous les pores sous les arbres, au pied des collines usées du Finistère, s’évanouissaient à chaque mise en marche de moteur, à chaque départ de bateau, à chaque démarrage de train. »

Antoine Bloyé, Paul Nizan, 1933.
Légende : La Bête humaine, Jean Renoir, 1938.

Haïr plus longtemps

« Ils étaient dans le fond – les hommes et les éléments de la nature – des choses placées dans un même espace, mais qui ne partageaient pas un seul instant historique. La nature, d’ailleurs, n’avais pas d’histoire, tout se répétait : les éléments concrets du paysage n’avaient pas encore inventé la roue, tandis que les hommes, eux, avaient fabriqué depuis longtemps des avions de chasse. De fait, l’histoire de la nature en était au point zéro, elle n’avait pas encore démarré, le deuxième jour ne s’était pas encore levé, elle en était toujours au premier matin : la nature n’a pas encore inventé le feu avait coutume de dire Lenz, reprenant à son compte une idée de son père, Frederich Buchmann. LIRE LA SUITE

Une mode insensée

« – Tout, dans les femmes, doit avoir un sexe, l’habillement, la coiffure, la chaussure, surtout la chaussure, qui doit être d’autant plus soignée que c’est en elle-même, la partie la moins agréable de l’habillement. II est très important pour les mœurs, très important pour les femmes, que leur habillement tranche avec le nôtre ! Elles perdraient de leurs attraits par le rapprochement. Mais supposons qu’elles n’en perdissent pas, et qu’elles communiquassent au contraire leur charme de sexe à l’habillement des hommes ! il en résulterait un grave inconvénient pour les mœurs… LIRE LA SUITE

Le Feu de la Saint-Jean

« J’aime quelquefois autant la folie des anciens usages ou leur simplesse bonace, pourvu qu’ils ne soient pas nuisibles, que la sagesse des nouveaux.

C’était le soir de la veille de Saint-Jean. Tout le monde allait à la Grève voir tirer un feu mesquin ; du moins tel était le but du grand nombre. Mais certaines gens en avaient un différent. Les filous regardaient cette fête comme un bénéfice annuel ; d’autres, comme une facilité pour se livrer à un libertinage brutal. Toutes les occasions d’attroupement, quelles qu’elles soient, devraient être supprimées, à cause de leurs inconvénients. Du Hameauneuf m’accompagnait, sans que je le susse. Je l’aperçus à l’entrée du quai de Gesvres. Nous marchâmes ensemble : – Si vous voulez observer, me dit il, il faut un peu vous exposer. Ce n’est pas à la lisière de la tourbe que rien se passe, avançons. » Je sentis qu’il n’avait pas tort, et quelque répugnance que j’y eusse, je perçai la foule à la suite de mon conducteur. LIRE LA SUITE

Quelle est donc la cause de ce sentiment destructeur ?

« Il n’est pas d’être dans la nature qui ne soit méchant. Tout individu aime à faire du mal, à détruire son semblable et les autres êtres. Les herbivores même ne sont pas innocents ; ils frappent, ils mordent, ils écrasent. L’homme aime à détruire pour détruire. Mille fois je me suis senti le cruel désir de tuer une belle grosse mouche à miel noire ou bourdon qui venait sucer à ma fenêtre les fleurs des pyramidales et j’avais besoin de la réflexion pour m’en empêcher. Quelle est donc la cause de ce sentiment destructeur qui est naturel à tous les êtres ? Est-ce la conservation personnelle aux dépens des autres existences ? Est-ce une impulsion de la nature, qui, en même temps qu’elle vivifie tout, veut que tout cesse et met autant de moyens de destruction que de production ? Il faut le croire. Qu’est ce donc que la vertu, dans l’homme social ? C’est l’effet d’un sentiment moral et factice, fondé sur la réciprocité, qui nous fait continuellement surmonter la nature pour faire du bien aux autres. Est-ce uniquement le goût du plaisir ou le désir de la propagation qui fait que tant d’hommes cherchent à dégrader les filles, les femmes ? Non : dans le régime social, c’est un sentiment d’ogre, un sentiment oppressif qui porte des êtres cruels à plonger dans la prostitution dégradante, à perdre, pour la société, une jeune infortunée qui d’abord excita leur admiration, puis leurs désirs brutaux… »

Les Nuits de Paris, Nicolas Edme Restif de la Bretonne, 1788.
Légende : Parkings violents, Guillaume Bresson, 2010.

HIGH-RISE

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La sensation de s’être fait baiser quelque part

« Au moment où elle s’abattait sur son canapé, jetant un regard hostile au taboulé, je songeai à la vie d’Annelise, et à celle de toutes les femmes occidentales. Le matin probablement elle se faisait un brushing puis elle s’habillait avec soin, conformément à son statut professionnel, et je pense que dans son cas elle était plus élégante que sexy, enfin c’était un dosage complexe, elle devait y passer pas mal de temps avant d’aller mettre les enfants à la crèche, la journée se passait en mails, en téléphone, en rendez-vous divers puis elle rentrait vers vingt et une heures LIRE LA SUITE